vendredi, 7 mars 2025 -

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Bénin

Le calvaire des patients indigents continue dans les hôpitaux publics





En mars 2023, dans un communiqué rendu public, Amnesty International Bénin avait fait cas des femmes et leurs bébés privés de liberté pour factures d’hôpital impayées à Mènontin, Cotonou - Bénin. En Septembre 2024, en plus des cas isolés dans des hôpitaux de zones du pays, les deux hôpitaux de référence au Bénin -le Centre hospitalier et universitaire Homel et CNHU-,, comptent encore des dizaines de patients de cette catégorie dans leurs effectifs “hospitalisés”.

Oui, nous avons des patients retenus pour non paiement de leurs factures d’hôpital”. Reconnaît un responsable du Centre hospitalier universitaire de la Mère et de l’Enfant (CHU - Homel) Lagune Cotonou. Effectivement, Christelle, une de ces patientes, a pu quitter cet hôpital le 11 septembre 2024 après y avoir passé quatre (4) semaines alors même que le médecin traitant avait déjà autorisé sa sortie à la suite de son accouchement 4 semaines plutôt.
Christelle (nom d’emprunt) a 32 ans et avait accouché de son troisième enfant (garçon). Son mari, Roger, est un agent de sécurité travaillant pour un particulier à Akpakpa, Cotonou. La famille vit en tant que squatteur dans une construction précaire faite de bambou. Le couple devrait payer 45 mille francs pour les soins d’accouchement. Le retard dans le paiement de cette somme a alourdi la facture qui s’est élevée à 65 mille francs CFA. Une semaine après, Christelle a dû céder son lit. Dès cet instant, Christelle et son nouveau-né doivent passer tout leur séjour à même le sol, sans lit, sans couchette, rien qu’avec deux pagnes qu’elle doit étaler, de jour comme de nuit.
C’est effectivement ce que nous a confirmé un des responsables du CHU-HOMEL. “Tout hôpital a une capacité d’accueil. Et si le médecin traitant a signé votre autorisation de sortie de l’hôpital, vous n’avez plus la possibilité de garder un lit puisque d’autres patients sont déjà en attente”, clarifie ce responsable qui a requis l’anonymat.

La visite de notre équipe de rédaction au sein de CNHU Hubert Maga de Cotonou, l’un des hôpitaux de référence du Bénin, a permis de constater que des patients, retenus pour non-paiement des factures d’hôpital, squattent un peu partout dans la maison, sauf franchir le portail dudit centre pour regagner leur domicile. Sous les arbres, sous les paillotes, dans les couloirs et dans d’autres endroits de fortune de cet hôpital, ces patientes se doivent de faire face à toutes les intempéries sous les regards impuissants du personnel soignant.

Mais si Christelle a eu la chance de sortir saine et sauve de cet hôpital avec son enfant, d’autres patientes y perdent la vie ou celle de leur nouveau-né. C’est le cas de dame Aniwanou qui a malheureusement perdu la vie en Juin 2024 après plus d’un mois “de séjour forcé” pour cause de facture impayée à Homel, Cotonou.
Selon le récit des membres de sa famille qui ont été alertés tardivement, le mari de la défunte aurait abandonné la femme à l’hôpital au lieu de s’acquitter des frais de soins dont avaient bénéficié la mère et ses jumeaux nouvellement nés. Décédé, le corps de la défunte a été déposé à la morgue avec injonction aux familles de débourser les frais de soins et désormais de morgue avant tout retrait. Les jumeaux, entre temps, avaient été placés sous la garde de leur tante maternelle. Il aurait fallu plus de 300 mille francs CFA pour la famille avant d’entrer en possession du corps de leur enfant finalement inhumé en juillet 2024. Interrogés sur cet incident, les responsables disent ne pas être informé sur ce cas spécifique mais soutient que si décès y est, c’est certainement dû à d’autres pathologies qu’aurait développé la patiente lors de son séjour à l’hôpital.

Un élan de solidarité et d’humanisme

Geneviève est une opératrice économique béninoise. Nous l’avons contactée dans le cadre de cet article pour avoir lu des articles sur ses actions humanitaires et philanthropiques. Dans un entretien qu’elle nous a accordé, elle reconnaît effectivement avoir volé au secours de ces patientes principalement au CHU Homel et au CNHU de Cotonou en 2014. Preuve que ce phénomène ne date pas d’aujourd’hui.
Dans mes programmes d’actions sociales de cette année-là, j’ai pris en compte les patientes retenues dans ces centres hospitaliers pour non paiement de leurs factures. Bien sûr que je ne pouvais pas soulager tout le monde, mais le programme a permis de faire sortir une dizaine de patientes de ces milieux hospitaliers”, a mentionné Geneviève. A la question de savoir pourquoi elle ne continue pas avec une telle action sociale, elle nous répond qu’elle concentre désormais ses actions sur des activités génératrices de revenus au profit des couches les plus vulnérables de la société. Un tel accompagnement leur permettra, assure-t-elle, de ne plus vivre de telle situation dans les hôpitaux.
En 2023, pour consommer leur budget en cours d’exécution, un des clubs de Rotary, avait décidé de porter assistance à ces patientes dans les hôpitaux. Les membres de ce club ont décidé, sur orientation des responsables du CHU Homel, non seulement de faire sortir ces patientes en payant leurs factures, mais également les doter d’un capital devant leur permettre d’entamer une activité génératrice de revenus. Un an après, certaines bénéficiaires continuent leur petit commerce contrairement à d’autres qui n’ont pas pu réussir dans cet élan entrepreneurial.

L’assistance à ces personnes “indigentes” n’est pas seulement l’apanage des bonnes volontés ou de ces associations caritatives. Dans sa politique sociale, le gouvernement béninois a doté le ministère des affaires sociales d’une Agence nationale de protection sociale (ANPS) afin de renforcer le volet social. “Le programme en cours depuis 2021 permet aux patients indigents et socialement vulnérables de se faire soigner dans nos hôpitaux publics à 0 franc CFA puisque l’État prend intégralement leur facture en charge, tant que ces personnes se présentent avec leur carte d’assurance pour le renforcement du capital humain (ARCH)”, nous a confié le directeur général par intérim de l’Agence nationale de la protection sociale (ANPS), Christian Lodjou que nous avons interrogé.
Depuis 2021 que le programme social a débuté, signifie Christian Lodjou, l’Agence a déjà soulagé plus de 10 500 personnes catégorisées “pauvres extrêmes” en République du Bénin. Quant au budget dont dispose l’agence pour ces personnes retenues dans les hôpitaux pour factures impayées, le directeur a déclaré qu’il n’y a pas une ligne fixe consacrée spécifiquement pour ces personnes, mais assure que leur prise en charge est incluse dans la politique générale de l’agence qui dispose d’un budget de 10 milliards de francs CFA (exercise 2024 NDLR).
Malgré les efforts tant du gouvernement béninois que des personnes de bonne volonté, le phénomène prévaut toujours dans les hôpitaux. Face à cette limite des efforts, certains estiment qu’il faut un élan de solidarité nationale. Christian Lodjou, directeur par intérim de l’ANPS préconise un téléthon national au profit des personnes vulnérables de la République. Comme le Bénin l’avait fait en juillet 2012 avec l’opération « 120 jours pour équiper les hôpitaux et les centres de santé du Bénin », Christian Lodjou, DG intérimaire de l’ANPS propose aussi un téléthon national pour soulager ces couches vulnérables.

Et pourtant, la Constitution…

Fabien Offner, chercheur au bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de Amnesty International, a appelé les autorités béninoises « à garantir les droits et à mettre en place des mesures afin que les droits à la santé et à la liberté de tous les Béninois soient protégés  ». Et ces droits dont fait référence le chercheur d’ Amnesty International sont mentionnés dans la loi fondamentale du Bénin. La loi N°2019-40 du 7 novembre 2019 portant révision de la loi N°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin garantit en son article 15 alinéa premier que « tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ». Plus loin, l’article 25 de la même loi précise que « l’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation  ».

Au vu de ces dispositions constitutionnelles, les organisations de la société civile (OSC) en l’occurrence Amnesty International, évoquent une violation flagrante de la loi fondamentale du Bénin avec la privation, de ces personnes, de leur liberté et le fait de les empêcher de vaquer librement dans leurs occupations. Ces Organisations non gouvernementales ont été confortées dans leur position avec la décision de la Cour constitution du Bénin.
Dans une décision rendue le 28 janvier 2021 sur un cas similaire de privation de liberté dans un hôpital, la Cour constitutionnelle du Bénin a jugé « qu’aucune restriction, voire aucune privation à la liberté ne sauraient être imposées à un usager des services de santé, publics ou privés, en recouvrement de créances liées à des prestations de soins  ». La cour a d’ailleurs rappelé l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui stipule que le droit fondamental de toute personne à la liberté ne peut être ni restreint ni interdit que dans les conditions et suivant les modalités déterminées par le législateur.
Mais entre ce que dit la loi et les exigences d’achat des intrants pour les soins dans les hôpitaux, les responsables ne savent plus à quel saint se vouer. Au CHU- Homel tout comme au CNHU de Cotonou, les responsables ont signifié que le même État ayant adopté ces textes de loi n’a pas mis en place une politique sanitaire à 0 francs pour les Béninois. « L’hôpital doit fonctionner et nous payons, argent comptant, les intrants chez nos fournisseurs. Nos soins au profit des usagers de l’hôpital sont des sources de revenus devant nous permettre de payer et de faire fonctionner l’hôpital. Finalement, nous ne savons plus quoi faire », s’interroge un des responsables du CHU-Homel. Face à ces exigences constitutionnelles et au dilemme des agents de santé, Christian Lodjou préconise une politique nationale de santé plus globale à l’image de Obama Care aux États Unis.

Josaphat DAH-BOLINON, journaliste béninois d’investigation et spécialiste du fact-checking

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