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Le 1er octobre prochain Claudia Sheinbaum sera investie présidente du Mexique. Elle présidera ce pays de 120 millions d’habitants inaugurant ainsi la deuxième étape de la transformation initiée en 2018 avec l’élection de Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO) à la Présidence.
Pour la première fois une femme, militante de gauche, dirigera le pays avec le soutien massif de la population et une majorité de 2/3 de la Chambre des députés qui lui permettront de faire les changements constitutionnels nécessaires pour aller vers des changements décisifs pour la transformation du Mexique. Au Sénat, il manque un siège à la gauche pour avoir ces deux tiers mais on peut penser qu’une négociation sera toujours possible pour y arriver.
2018, un tournant politique historique
Pour mieux comprendre la portée de l’arrivée au pouvoir de ce projet progressiste et le sens de la transformation en cours au Mexique il faut prendre en compte le degré de corruption auquel en était arrivé le régime crée par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), qui dans un passé lointain, avait été institué pour unifier les groupes politiques issus de la révolution dans la période 1910-1920.
Les débuts de ce processus ont permis l’instauration d’une Constitution progressiste, des avancées sociales importantes et la nationalisation des ressources naturelles. Mais dès les années 50 la corruption a émergé comme un élément structurant du régime. Être élu à une responsabilité gouvernementale, président, gouverneur, député ou maire ou être nommé à des postes de direction de la fonction publique promettait une voie facile et rapide vers l’enrichissement. Le pouvoir politique a fini par se confondre avec le pouvoir économique dans une association d’intérêts qui dictait les choix politiques. Ce pourrissement n’a pas épargné la justice et l’impunité des plus forts et des plus riches s’est muée en règle.
C’est sous ce système que les dirigeants du PRI ont mis en place des politiques néolibérales et que le Traité de libre-échange avec le Canada et les États-Unis (T-MEC) a été signé avec la volonté d’ancrer durablement ces politiques avec des privatisations qui ont bénéficié aux grandes fortunes du pays associées à des capitaux étrangers. L’arrivée au pouvoir du Parti d’action nationale (PAN) entre 2000 et 2012, de même que le retour aux affaires du PRI par la suite, n’ont fait que renforcer ces politiques et la spoliation du pays n’a cessé qu’avec le triomphe historique de la gauche de 2018.
Transformer le Mexique signifie le démantèlement de ce système, la séparation du pouvoir politique du pouvoir économique et la création de nouvelles institutions, changer les priorités en mettant au centre la lutte contre la pauvreté qui touchait presque la moitié de la population.
L’héritage de la présidence d’Andres Manuel Lopez Obrador
En six ans, des progrès importants ont été réalisés ; les anciennes politiques d’assistanat, au champ extrêmement restreint, ont laissé la place à une trentaine de programmes sociaux à caractère universel en direction des plus pauvres, des personnes âgées et des handicapés qui reçoivent des aides et en faveur de l’enfance et de la jeunesse au travers de bourses et de programmes d’accès à l’emploi.
Des efforts sont déployés en faveur d’un nouveau système de santé et l’évasion fiscale est combattue ainsi la tendance à autoriser l’abandon des dettes fiscales pour les privilégiés. Afin de réduire les inégalités entre les régions des grands projets d’infrastructures ont été lancés notamment avec le « Tren Maya », chemin de fer qui fait le tour de la péninsule du Yucatán et le Corridor Trans-isthme qui devra relier la côte Pacifique au Golfe du Mexique.
Ces politiques et la hausse du salaire minimum de 110 % ont permis de faire reculer la pauvreté qui est passé de 46 % de la population à 36 % ainsi que les inégalités. Face à aux cartels de la drogue, le gouvernement a choisi s’attaquer aux racines de la violence au travers de ces politique sociales et avec la création de la Garde nationale qui remplace les corps de police fortement corrompus. Mais bien que les statistiques dénotent un ralentissement du nombre d’assassinats, la violence liée aux activités des groupes criminels reste très élevée ainsi que la violence contre les femmes malgré un recul de 35 % des féminicides grâce aux dispositifs mis en place depuis 2018.
L’enjeu juridique et constitutionnel
Bien qu’affaiblie, la droite unie n’a cessé de mener des campagnes visant la délégitimation du nouveau pouvoir en l’accusant d’autoritarisme ou de mener le pays vers le « communisme ». Elle s’est opposée systématiquement à tous les projets votés par les deux chambres.
Impuissante, la droite a mobilisé ses derniers atouts : l’Institut national électoral et le Pouvoir judiciaire dominés par des conseillers, magistrats et juges nommés par les gouvernements précédents. C’est ainsi que 75 % des propositions législatives ont été bloquées par des décisions de justice les déclarant inconstitutionnelles ou bien avec des prétextes futiles tels que « le manque de discussion » des lois par les députés ou bien en acceptant des plaintes d’entreprises ou de particuliers qui se considéraient lésés par les nouvelles législations. Le Pouvoir juridique est devenu un acteur politique qui, en outrepassant ses fonctions, a imposé ses décisions sur celles prises par l’organe législatif élu par la population.
En février dernier, le président Lopez Obrador a décidé de mettre la droite au pied du mur en proposant vingt changements constitutionnels qui devraient redonner à la Charte le caractère progressiste que des décennies de néolibéralisme lui avaient ôté. Parmi ces changements il a notamment proposé l’amélioration du système de retraites en faveur des travailleurs les plus démunis, donner un rang constitutionnel aux programmes sociaux phares, les hausse du salaire minimum ne pourront pas être en dessous de l’inflation, l’interdiction du « fracking » et du maïs transgénique et surtout redonner à la Compagnie fédérale d’électricité son caractère public, la disparition des autorités indépendantes crées pour se substituer à l’État dans la « régulation » de la concurrence et des investissements dans les et la réforme du Pouvoir juridique.
Après le refus de la droite de voter ces initiatives, le président a fait appel à la population, lui demandant d’exprimer son soutien en votant lors des élections de juin en faveur de Claudia Sheinbaum et en lui donnant la majorité nécessaire ces changements à la Constitution, c’est ce qu’il a appelé le « Plan C ».
L’élection de Claudia Sheinbaum entre continuité et rapports de force
Le résultat de l’élection présidentielle a démontré une adhésion massive au projet de Nation porté par Claudia Sheinbaum et le Mouvement de régénération nationale (Morena). L’ampleur de la défaite n’a cependant pas découragé la droite qui continue à se battre avec les membres de la Suprême cour de Justice en tête.
L’opposition de droite prétend que la réforme qui prévoit que les magistrats et juges ne seront plus nommés à partir d’une proposition de l’Exécutif mais seront élus par le suffrage universel à partir des propositions faites par les pouvoirs Législatif, Exécutif et Judiciaire constituerait non seulement une attaque contre la démocratie mais mettrait également en danger l’avenir du Traité Mexique-États-Unis-Canada (T- MEC), en affaiblissant les garanties offertes aux opérateurs économiques, notamment étrangers. Elle insinue également que la disparition des autorités indépendantes (notamment la Commission fédérale de compétence économique, l’Institut des télécommunications et la Commission régulatrice de l’énergie) ne ferait qu’aggraver la situation. Ces autorités, dont les fonctions doivent être réintégrées aux ministères de tutelle, ont été créées sous l’empire des politiques néo-libérales dans l’objectif de « dépolitiser » l’attribution des concessions et contrats en favorisant l’entrée de capitaux étrangers. Leur mise en cause, de même que celle d’un pouvoir judiciaire subordonné à leurs intérêts, risquerait, selon l’opposition et les milieux économiques, d’affecter le bon fonctionnement du T-MEC.
À cet égard, il n’a pas fallu attendre longtemps avant que certains États réagissent à ces perspectives de changement. L’ambassadeur des États-Unis, Ken Salazar, s’est joint à l’opposition de droite pour déclarer que « l’élection directe des juges représente un risque majeur pour le fonctionnement de la démocratie au Mexique » et à la suite l’ambassadeur du Canada a fait part de la préoccupation des investisseurs de son pays.
La réponse du président Lopez Obrador a été immédiate. Il a annoncé une pause dans les relations avec l’ambassade des États-Unis et a dénoncé une action inacceptable d’ingérence qui piétine la souveraineté du Mexique. Dans ce contexte les prochains mois seront cruciaux, pour le Mexique et l’ensemble du continent latino-américain. Claudia Sheinbaum sera-t-elle en mesure d’ancrer des changements politiques et sociaux et de proposer un autre chemin de réforme économique ? Voici la question majeure auquel le Mexique devra répondre, sous l’œil des peuples du continent et des gauches du monde entier.
OBEY AMENT
Spécialiste de l’Amérique latine
Note : Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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