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Supputons un peu. Les élections présidentielles de 2006 auraient-elles connu cette issue si Yayi et Talon avaient fait chemin deux ou trois ans plus tôt ? Mon avis est négatif. Car les deux hommes se seraient découverts et le duo se serait disloqué. Alors je retourne la question autrement : Yayi aurait-il triomphé dans cette compétition s’il avait eu plus tôt les moyens de son indépendance financière ? Là encore ma réponse est négative. Car il aurait vite montré les tares qu’il présenta plus tard dans la gestion du pouvoir et aurait suscité méfiance et rejet. Alors la conclusion qui sied à mon avis est celle qui veut que le pouvoir d’État soit d’appel divin. Et dans ce Bénin si mystérieux et si spirituel, pays aux milles rois mages, vous êtes vite repérés par l’une des nombreuses tours de contrôle spirituel lorsque vous êtes porteurs de cet appel. La première tour de contrôle qui capta avec précision le faisceau de lumière sur Yayi en fin 2002, fut le lobby libanais conduit en ce temps par le patriarche Feu Assad Chagoury. La soirée d’échanges et de partage à laquelle il convia Yayi, en compagnie de quelques uns de ses compatriotes, était plus pour lui dire "nous avons vu ton étoile". Aussi, la mise en place spontanée autour de lui d’un comité de vieux sages aux yeux perforants dès la même année et constitué du président Émile Derlin Zinsou, de son frère René Zinsou, de Albert Tevoedjre et de Moïse Mensanh, avait, à mon avis, plus à voir avec l’irrationnel. Il en va ainsi du pouvoir d’État ici. Si vous en êtes porteurs, cela se sait dans certains cercles. L’expérience qui fut la mienne sur le chemin du pouvoir aux côtés de Yayi Boni, m’en a donné une conviction définitive, même si je reconnais que ce genre d’assertion ne doit pas avoir sa place dans l’espace public et le discours officiel comme commença malheureusement à le faire le président Yayi juste après sa prise de pouvoir. Car alors on se retrouve dans une vision de monarchie de droit divin alors qu’on a été régulièrement élu par des instruments démocratiques modernes. La responsabilité dans ce cas de l’entourage d’un chef d’État est déterminante. Il faut contre vents et marrées, l’aider à continuer par se sentir homme, citoyen et non démiurge, thaumaturge ou "messikoï". Je sais cet exercice très risqué et périlleux dans des environnements du pouvoir marqués par les intrigues, les coups bas, la jalousie et la méchanceté toujours gratuite. Mais il faut des " malio" pour indiquer au Egoun goun enivré par le roulement endiablé du Talking-drum, les limites à ne pas franchir et lui rappeler surtout qu’à la fin des festivité, il devra se déshabiller des oripeaux flamboyants et si craints du revenant et retrouver sa famille comme un homme ordinaire.
Ma marche aux côtés de Yayi n’était pas calculée. Avec les compagnons des temps d’espérance, nous avions entamé la chasse à un gibier sans trop savoir à quelle sauce sa chair se mangerait, sans savoir le type de vin qui l’accompagnerait le mieux, sans rien savoir du spiritueux qui ouvrirait ce genre d’agape. Avec lui sur les infinis chemins du Bénin, je ne m’étais jamais posé la question sur ce qui me reviendrait à l’arrivée. Et je vois encore aujourd’hui certains de ces compagnons continuer d’assurer péniblement leurs loyers et leurs différentes charges familiales à Godomey-Togoudo, tout comme s’ils n’avaient pas fait de bonnes études sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi, tout comme si Yayi qui les appelait par leurs prénoms n’avait jamais été président de la république.
Dans cette Mercedes à immatriculation diplomatique dont le confort intérieur me suffisait comme récompense, nous avions sillonné les grandes et petites agglomérations du septentrion. J’ai souvent frémi de bonheur en contemplant ce paysage tantôt désolé et lunaire, tantôt accidenté et escarpé, au nord de Natitingou, lorsque nous rendions visite au vieux Colonel Adolphe Biaou dans son orphelinat où il se battait les mains nues pour redonner espoir à une trentaine d’enfants déshérités. J’ai aimé ce décor de savane arborescente lorsque nous debarquâmes dans la ferme de Malam Idi pour une "visite de courtoisie" sur la route de Bembereke. Parfois les voyages étaient calmes et studieux. Yayi se réfugiait dans ce cahier de cent pages dans lequel il recevait ses cours de baatonu à domicile. Il s’y était engagé avec rage depuis qu’une attaque malveillante circula dans le septentrion, l’accusant de ne rien comprendre à la langue. Il perçu mieux que nous tous le côté pernicieux de cette accusation à un moment où la disparition de Saka Saley et de Saka kina mettait cet électorat à sa portée. Soit près de la moitié de l’électorat totale du septentrion. Un peuple fier dont personne ne pouvait présager du comportement électoral après le départ du général Mathieu Kerekou. Un peuple dont la frustration après le long règne du vieux kameleon s’exprimaient déjà par les résultats audacieux qu’un candidat comme Saca Lafia obtint face à l’homme de kouarfa aux présidentielles de 2001 rien qu’en maniant le discours de la fierté identitaire face au "Patriarche somba" qu’il accusait lors de ses meeting de proximité d’avoir bloqué et par complexe d’infériorité, pendant près de trois décennies, l’émergence de tous les cadres baribas. Kerekou le lui rendit d’ailleurs bien en le traitant publiquement de " bouvier ". Un trait d’humour caustique que ne comprirent que ceux qui maîtrisaient la sociologie bariba. Traiter en effet un bariba de bouvier était la pire des injures qu’on pouvait lui faire. Les princes baribas ne faisant garder leurs troupeaux que par les peuhls qu’ils considéraient au mieux comme des tâcherons " gando" et au pire comme leurs esclaves. Mais voilà donc que le très fier prince bariba Saca Lafia était... vétérinaire, c’est à dire médecin-traitant des bœufs. Sacré Kerekou !
Yayi savait que rien n’était garanti du côté bariba et que les blagues séculaires entre nagots et baribas ne seraient pas suffisantes pour déclencher l’enthousiasme de ce peuple autour de sa candidature, lui un nagot. Il fallait donc prendre le taureau par les cornes. Il fallait audacieusement se revendiquer bariba. Et pour cela, l’argument était à portée de mains. Sa mère n’était-elle pas bariba ? Eh il fallait l’exploiter à fond. Mais comment s’y prendre alors que lui-même ne parlait pas baatonu ? Retour au cahier. Humblement. Avec comme enseignante, la petite "Dado", une de ses nièces baribas qu’il fit descendre sur Lomé et dont la jeune soeur "Zouberath" occupera plus tard l’actualité dans l’affaire de tentative d’empoisonnement. Nous y reviendrons sans doute. Mais certains baribas ne restèrent pas dupes sur la manœuvre de Yayi. Et s’ils adhérèrent de façon compacte à sa candidature, c’était plus par réalisme que par reconnaissance identitaire. Car pour les baribas, il y avait bariba dans bariba.
En remontant ce soir sur Calavi, je repensais à tout ce parcours qui était le mien, jeune trentenaire, plongé directement dans l’antichambre de la conquête du pouvoir d’État. Nous étions finalement à la veille de cette grande cérémonie de déclaration de candidature. Toute la journée, notre siège a fourmillé de monde et d’activités. Fatigué, je remontais doucement me reposer avant demain, le jour "J". A la hauteur de Calavi, mon téléphone sonna. C’était Yayi. Je descendis de l’asphalte aux rebonds dentelés qui était faite à l’époque en une seule voie." Tiburce, me dit-il d’une voix pleine de précaution mais aussi de déception. Le discours que tu me proposes-là, je n’y comprend rien. Je ne peux pas lire ça là demain". " Discours ? Moi ? Quel discours ?" Fis-je, totalement surpris. " J’ai demandé qu’on te dise de me faire une proposition de discours, mais ce que j’ai sous la main là, c’est pas à la hauteur. Je vais devoir réécrire. C’est pas grave..."
Je n’avais jamais entendu parler de ce discours. Quelqu’un venait de me porter un coup décisif. Et les effets seront durables. Très durables.
( A demain ✋🏾)
*Tibo*
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