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A la suite des questions du député Eric Houndété au gouvernement sur le projet de loi portant attribution de la nationalité béninoise aux Afro-descendants, Dr Louis-Georges Tin, Premier Ministre de l’Etat de la Diaspora africaine, s’est prononcé à travers une lettre ouverte au premier vice-président du parti Les Démocrates et à l’Assemblée nationale. Lire l’intégralité de sa lettre….
A l’attention de l’Honorable Député, Son Excellence Eric Houndété
M. le Député
Le 8 mai 2024, le Président Talon a transmis à l’Assemblée un projet de loi visant à accorder la nationalité béninoise aux Afro-descendants qui en feraient la demande, sous réserve qu’ils établissent clairement leur lien avec l’Afrique. Cette décision historique a suscité de nombreuses réactions positives, mais comme elle est inédite, elle doit être expliquée en détail.
Relayant les interrogations légitimes que certains Béninois peuvent se poser, vous avez adressé au gouvernement une série de questions concernant ce texte : c’est pourquoi, en tant que Premier Ministre de l’État de la Diaspora africaine, et sans préjuger des réponses que le gouvernement pourra vous apporter, j’ai pris la liberté de vous écrire cette lettre ouverte adressée à vous-même, mais plus généralement au Parlement béninois et à tout le peuple béninois. Mon intention est d’apporter certaines informations susceptibles d’éclairer le débat. Je ne répondrai pas à toutes les questions que vous posez, car certaines relèvent de la compétence du gouvernement, mais je me permettrai d’aborder celles qui nous concernent directement.
Question : Comment distingue-t-on les Afro-descendants ? Qui sont-ils ? Quelles sont leurs occupations ?
Avant de vous répondre sur ce point, je tiens à vous remercier de cette question, qui nous permet humblement de nous présenter à vous et au peuple béninois.
Depuis 2003 au moins, plusieurs textes de l’Union Africaine et de l’Organisation des Nations Unies ont défini ce que sont les Afro-descendants. Je pense notamment à la fameuse résolution adoptée le 3 février 2003 à Addis-Abeba, et à la décision adoptée lors de la 2e conférence des chefs d’Etat de l’Union Africaine à Maputo, au Mozambique, le 11 juillet 2003, qui ont officiellement acté le fait que la diaspora africaine constitue la 6e Région d’Afrique. Je pense aussi aux résolutions adoptées par les Nations Unies concernant la Décennie des Personnes d’Ascendance Africaine (2015-2024) et le Forum Permanent des Personnes d’Ascendance Africaine créé en 2021.
Sur la base de ces textes juridiques nombreux et solides, que le Bénin a votés et soutenus de façon constante au niveau continental et international depuis plus de 20 ans, on peut définir la diaspora africaine comme étant constituée de toutes les personnes vivant hors d’Afrique, mais se revendiquant comme étant d’origine africaine. Certaines de ces personnes ont quitté le continent il y a une, deux ou trois générations, en général comme migrants : c’est ce qu’on appelle parfois la jeune diaspora. D’autres sont issues de la déportation transatlantique, car leurs ancêtres ont été arrachés au continent à l’époque de l’esclavage colonial, il y a deux, trois quatre siècles, voire plus : c’est ce qu’on appelle la diaspora historique. Quoi qu’il en soit, toutes ces personnes appartiennent à la diaspora africaine.
Leurs occupations sont multiples. Ces personnes font tous les métiers. Certains sont ouvriers, d’autres employés ou cadres. Vous en connaissez beaucoup : des hommes politiques comme Barack Obama, l’ancien président des Etats-Unis, des sportifs comme le Jamaïcain Usain Bolt, des chanteurs comme la Barbadienne Rihanna, et tous ceux des générations précédentes, de Toussaint Louverture en Haïti (qui venait d’Allada), au roi Pelé au Brésil en passant par Aimé Césaire en Martinique, Martin Luther King et Rosa Parks aux Usa, et tant d’autres connus ou moins connus. Au total, ce sont environ 350 millions de personnes, qui font rayonner l’Afrique à travers le monde entier.
Question : Combien d’entre eux ont déjà effectué un voyage au Bénin ? Existe-t-il une statistique de ceux d’entre eux ayant manifesté le désir d’obtenir la nationalité béninoise ? Existe-t-il une étude qui permet d’apprécier le nombre de personnes qui constituent la cible visée ?
A ma connaissance, il n’y a pas de statistiques sur tous ces points. Mais on peut estimer grossièrement que quelques milliers de personnes ont déjà effectué ce voyage, des personnes venant principalement des Etats-Unis, d’Haïti, de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane et du Brésil, car ce sont les pays où les Béninois d’hier ou d’avant-hier se sont retrouvés, en fonction des aléas de l’histoire. Ce sont ces personnes qui seront sans doute les premières à effectuer la demande de nationalité. Ce sont les plus panafricaines, les plus motivées, les plus dynamiques et les plus désireuses d’investir au Bénin, et de partager leur savoir-faire professionnel, leurs expériences culturelles, et de se reconnecter avec leurs familles.
Si nous n’avons pas de chiffres précis concernant votre question, nous en avons d’autres à propos de la diaspora, qui ne sont pas sans intérêt. Le premier vient de la Banque mondiale : selon l’institution, chaque année, la diaspora africaine envoie vers le continent environ 70 milliards de dollars. Cela représente 13 % du budget du Sénégal, 26 % du budget du Liberia, 70 % du budget du Soudan. Et cela représente deux fois plus que toute l’aide internationale, qui n’est pas toujours une aide, on le sait. Ce n’est donc pas négligeable.
Deuxième chiffre : En 2019, le Ghana a proclamé et organisé « l’année du retour », pour encourager la diaspora à revenir au pays pour le visiter. Le gouvernement estime que les personnes de la diaspora qui sont venues ont permis de développer le tourisme et ont généré en un an 1,9 milliard de dollars Us.
Au-delà de ces réponses ponctuelles, et de ces quelques informations historiques, démographiques et économiques, je tiens à souligner que pour les membres de la diaspora, dont je fais partie, cette possibilité qui nous serait donnée d’obtenir la nationalité béninoise serait une forme de restitution. En effet, notamment pour la diaspora historique, nous avons été arrachés à l’Afrique et déportés, comme vous le savez. Nous avons été dépouillés de nos droits et privés de nos familles. Obtenir la citoyenneté, c’est retrouver nos droits, nos origines, nos cultures, nos familles, nos sœurs et nos frères, comme vous-même.
Et c’est pourquoi Maître
Germany, Dah Mileko, Martiniquais d’origine, avait fait campagne dès 2016 pour que cette loi soit adoptée. Il avait rencontré à ce sujet le ministre de la Justice du Bénin. Il a poursuivi le dialogue avec le Président, avec les autorités de la République et avec les leaders traditionnels. C’est pourquoi nous le remercions, lui et le président, et comme il s’agit d’un texte pour les retrouvailles de la famille panafricaine, nous serions vraiment heureux qu’il soit adopté à l’unanimité, par tous les partis, par tous les députés, exactement comme la décision de 2003, reconnaissant la diaspora africaine comme étant la 6e région d’Afrique, a été prise à l’unanimité des chefs d’État africains. La famille et la Grande Afrique enfin réunies, c’est un sujet qui transcende tous les partis, et qui invite au consensus, à la concorde et à la joie.
En définitive, M. le député, je saisis encore cette occasion pour vous remercier de vos questions, qui nous ont donné l’occasion de vous répondre, de nous présenter, et je serais ravi de vous rencontrer dès que possible, dans le cadre d’une audition parlementaire, s’il y en a, et dans le cadre fraternel et panafricain qui est en train de se créer, ou de se recréer. A mes yeux, vous retrouver, vous et les autres frères et sœurs du continent constitue en soi une merveilleuse et nécessaire réparation■
Dr Louis-Georges Tin
Premier Ministre de l’Etat de la Diaspora Africaine.