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Déjà dépassé par le monde francophone au début des années 2010, le monde hispanophone vient d’être également dépassé par l’espace arabophone, dont la population totale a atteint 481,7 millions d’habitants mi-2023. L’émergence démographique du monde arabophone, deuxième espace linguistique le plus dynamique au monde, devrait se poursuivre au cours des quelques prochaines décennies, alors que l’espace hispanophone devrait progresser plus lentement que la moyenne mondiale.
À partir de données essentiellement publiées en décembre dernier par le PRB (Population Reference Bureau, organisme privé américain et une des références mondiales en matière de démographie), la population du monde arabophone est estimée à 481,7 millions d’habitants au 1er juillet 2023, en hausse de 1,9 % sur un an (soit + 9,0 millions), contre 480,4 millions pour l’espace hispanophone (+ 0,9 %, ou 4,1 millions). Ainsi, et selon ces données, la population du monde arabophone aurait dépassé celle du monde hispanophone au cours du premier trimestre de l’année 2023, et plus précisément au mois de mars.
Ces estimations démographiques correspondent aux espaces composés, respectivement, de pays et territoires réellement arabophones et hispanophones, c’est-à-dire où l’arabe et l’espagnol sont, seuls ou avec une autre langue, la langue de l’administration, de l’éducation, des affaires et des médias pour l’ensemble de la population, ou au moins la langue maternelle ou véhiculaire d’une population majoritaire sur le territoire concerné, où elle est historiquement et/ou durablement présente. Les pays et territoires où l’arabe ou l’espagnol est enseigné obligatoirement, mais qui ne répondent pas aux critères précédemment cités, ne peuvent être pris en compte, puisque la langue concernée n’y est alors enseignée qu’en tant que simple langue étrangère.
481,7 millions d’habitants mi-2023 pour le monde arabophone
L’espace arabophone, qui s’étend sur deux continents, recouvre ainsi l’intégralité de 20 pays ayant l’arabe pour langue officielle, seul ou avec une autre langue locale (à savoir le tamazight en Algérie et au Maroc, le kurde en Irak et le somali en Somalie), auxquels s’ajoutent les importantes parties arabophones de deux pays (le Tchad et l’Érythrée), et les territoires arabophones de faible importance présents dans neuf autres pays (Mali, Niger, Cameroun, Nigeria, République centrafricaine, Soudan du Sud, Iran, Turquie et Israël).
Ainsi, et bien que membres à part entière de la Ligue arabe, et ayant l’arabe pour langue co-officielle (avec le français), Djibouti et les Comores ne peuvent être considérés comme faisant partie de l’espace arabophone, ni totalement dit partiellement, étant donné que le statut officiel de l’arabe y est symbolique (pour des raisons essentiellement d’origine religieuse). À l’inverse, le Tchad et l’Erythrée, qui ont aussi l’arabe pour langue co-officielle, du jure et de facto respectivement, sont bel et bien partiellement arabophones, en dépit du fait qu’ils ne soient pas membres à part entière de l’organisation. L’arabe est d’ailleurs une langue maternelle ou véhiculaire pour environ 60 % de la population tchadienne (principalement dans le centre et le nord du pays), et une langue véhiculaire pour environ un tiers de la population érythréenne (principalement dans les deux régions administratives côtières et près de la frontière soudanaise, avec la présence d’une très petite minorité l’ayant également pour langue maternelle).
Avec une croissance de 1,9 % sur un an, largement supérieure à celle du monde hispanophone (0,9 %), le monde arabophone est ainsi le deuxième espace linguistique le plus dynamique de la planète, après l’espace francophone dont la population s’élève à 563,4 millions d’habitants mi-2023, en hausse de 2,1 %. S’étendant sur quatre continents, ce dernier rassemble de nombreux pays et territoires, dont notamment cinq pays faisant aussi partie, totalement ou majoritairement, de l’espace arabophone (la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie et le Tchad). Il convient d’ailleurs de noter que certains pays ou territoires abritant un nombre très important de locuteurs de français, comme le Liban, la Roumanie ou la Guinée-Bissau, sont parfois présentés à tort comme francophones, puisqu’ils ne répondent à aucun des critères nécessaires en la matière (tout comme pour les parties non francophones de pays comme le Canada ou la Belgique).
Grâce à son dynamisme, et à partir de données historiques essentiellement fournies par l’ONU, le monde arabophone a multiplié sa population par 5,4 entre 1950 et 2023, passant de 74,9 millions d’habitants à 481,7 millions, tandis que l’espace hispanophone a multiplié la sienne par 3,5, en passant de 136,5 millions d’habitants à 480,4 millions. Sur la même période, la population mondiale a été multipliée par 3,2. Entre mi-2022 et mi-2023, et selon les données du PRB, le taux de fécondité global du monde arabophone s’est établi à 3,2 enfants par femme, contre seulement 1,8 pour l’espace hispanophone. Comme pour l’espace francophone (4,2), le taux de fécondité de l’espace arabophone est également en baisse continue.
Les cinq pays arabophones les plus peuplés sont l’Égypte (105,2 millions mi-2023), le Soudan (48,1 millions), l’Algérie (46,8), l’Irak (45,5) et le Maroc (37,6). Ainsi, il est à noter que l’Algérie a récemment perdu sa deuxième place qu’elle occupait après avoir dépassé le Maroc en 1986. Les cinq pays totalement ou majoritairement arabophones ayant enregistré la croissance démographique la plus élevée, hors mouvements de réfugiés, sont la Somalie (3,2 %), la Mauritanie (3,2 %), le Tchad (3,1 %), le Soudan (2,6 %) et la Palestine occupée (2,5 %). Ces cinq pays sont également les mêmes, presque dans le même ordre, pour ce qui est du taux de fécondité : la Somalie (6,2 enfants par femme), le Tchad (6,2), la Mauritanie (5,2), Ie Soudan (4,4) et la Palestine (3,8 enfants, taux probablement surévalué). Le Yémen suit en sixième position (3,7).
Enfin, et en ce qui concerne les modestes minorités arabophones présentes dans d’autres pays, mais ayant l’avantage d’être historiques et majoritaires sur les territoires qu’elles occupent, celles-ci se situent en général à proximité d’une frontière avec un pays voisin au moins majoritairement arabophone. Dans six des neuf pays concernés, et qui se trouvent tous sur le continent africain, l’arabe est une langue maternelle et véhiculaire, à savoir au Mali (0,3 million de personnes, dans des localités situées en zone aride), au Niger (0,5 million, en zone aride également), au Cameroun (0,5 million, dans l’extrême nord du pays, dans le département du Logone-et-Chari, près du lac Tchad), au Nigeria (0,2 million, au nord-est dans l’État du Borno, également près du Lac Tchad), en République centrafricaine (0,1 million, dans l’extrême nord, dans la préfecture de la Vakaga), et au Soudan du Sud (0,3 million, principalement dans le nord du pays, près de la frontière soudanaise). Quant aux trois autres pays, où l’arabe est seulement une langue maternelle, il s’agit de l’Iran (0,8 million, essentiellement dans la province du Khouzistan, près de l’Iraq), de la Turquie (0,5 million, dans l’extrême sud du pays, principalement dans les provinces du Hatay, de Mardin et de Sanliurfa, près de la frontière syrienne), et d’Israël (1,5 million, essentiellement dans le nord du pays, mais qui représentent 17 % de la population totale israélienne, soit un poids très largement supérieur à celui observé dans les huit autres pays précédemment cités, où il ne dépasse pas les 3 %). Les autres communautés arabophones présentes ailleurs dans ces pays, mais dans des localités où elles sont minoritaires, ne sont donc pas comptabilisées.
Toutefois, et bien que réparties sur plusieurs pays, ces populations arabophones ne représentent, réunies, qu’environ 1 % de la population totale du monde arabophone (1,2 %). Par conséquent, les différentes données statistiques les concernant, ainsi que les différents scénarios relatifs à leur évolution future (maintien, affaiblissement ou renforcement) n’ont presque aucune incidence sur les données globales de l’espace arabophone.
Le cas du Soudan du Sud
Le Soudan du Sud constitue un cas particulier, puisque l’arabe (principalement sous une forme dérivée de l’arabe soudanais, appelée arabe de Djouba, du nom de la capitale) était la véritable langue véhiculaire de ce pays multilingue, dont il était également l’une des deux langues officielles, avec l’anglais. Toutefois, et depuis l’indépendance du pays en juillet 2011, l’arabe a perdu son statut de langue officielle et n’est plus utilisé par l’administration, ni en tant que langue d’enseignement et des affaires, au profit de la seule langue anglaise.
Par conséquent, l’usage de l’arabe comme langue véhiculaire est en voie de disparition, étant donné que la jeune génération n’a plus l’occasion de l’apprendre correctement et de l’utiliser au quotidien. Une évolution accélérée par le fait que l’islam, qui contribue parfois à la propagation de l’arabe en tant que langue véhiculaire, est une religion très minoritaire dans le pays. Dès lors, et même s’il demeure assez largement utilisé à travers l’ensemble du territoire, mais de manière déclinante, désormais uniquement orale et dans un contexte marqué par une certaine hostilité politique, il n’est plus pertinent de présenter le pays comme faisant partie de l’espace arabophone (à l’exception de quelques territoires faiblement peuplés, essentiellement situés près de la frontière soudanaise et majoritairement habités par des populations musulmanes ayant l’arabe pour langue maternelle ou, plus marginalement, véhiculaire).
Par ailleurs, il convient de rappeler que l’abolition du statut privilégié de la langue arabe relevait d’une décision purement politique de la part de autorités du pays, qui y voyaient un symbole de la colonisation et de l’oppression menées pendant des décennies par le Nord arabo-musulman de l’ancien Soudan, depuis le départ des Britanniques en 1956 (non respect des identités locales, imposition de la charia, massacres, pillage des richesses, pratique de l’esclavage et de la traite négrière jusqu’en 2005…). Ainsi, le passage à l’anglais ne s’inscrivait nullement dans le cadre d’une politique de modernisation et de développement économique, contrairement aux affirmations des nouvelles autorités. D’ailleurs, force est de constater que le Soudan du Sud demeure encore aujourd’hui le pays le plus pauvre d’Afrique et du monde entier, à tel point que de nombreuses données économiques sont purement et simplement indisponibles auprès des institutions économiques internationales. Une pauvreté qui ne constitue d’ailleurs pas une exception en Afrique de l’Est continentale, très majoritairement anglophone, et qui est globalement la partie la moins développée et la moins industrialisée du continent (Soudan, Soudan du Sud, Somalie, Érythrée, Mozambique, Malawi, Rwanda…).
La décision du Soudan du Sud n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle prise, là aussi pour des considérations purement politiques, par le régime rwandais de l’anglophone Paul Kagame, qui avait décidé de remplacer progressivement le français par l’anglais dès son accession au pouvoir en 1994, au lendemain du génocide. Une accession préparée dès la fin des années 1980 par les États-Unis et le Royaume-Uni, qui financèrent et armèrent les rebelles tutsis situés en Ouganda, d’où ils multipliaient les massacres et semèrent la terreur au sein d’une population hutue qui avait encore en mémoire le génocide commis au Burundi voisin par des Tutsis contre les Hutus en 1972 (génocide de la partie éduquée de la population hutue, avec environ 200 000 personnes exécutées à travers le pays et enterrées dans des fosses communes afin d’assurer la suprématie tutsie dans tous les rouages de l’administration, de la fonction publique et de l’économie). Un climat de peur généralisé qui entraîna, hélas, un génocide contre les tutsis en 1994, dont l’élément déclencheur fut le double assassinat, simultanément, des présidents hutus du Rwanda et du Burundi (un cas unique dans l’histoire de l’humanité).
Comme au Soudan du Sud, le régime de Paul Kagame, toujours au pouvoir trente ans plus tard, prétendit que le passage à l’anglais apporterait développement et prospérité au pays. Pourtant, trois décennies plus tard, et contrairement aux dires de l’intense propagande menée par le régime, à un niveau inégalé dans l’histoire du continent, force est de constater que le Rwanda demeure un des pays les plus sous-développés d’Afrique, avec un des PIB par habitant les plus faibles (classé à la 35e position seulement, avec 966 dollars début 2023, loin derrière le Sénégal, le Cameroun ou encore la Côte d’Ivoire, qui affichaient respectivement 1 599 dollars, 1 563 dollars et 2 486 dollars, selon les dernières données de la Banque mondiale), un des niveaux d’industrialisation les plus bas (classé également 35e par la Banque africaine de développement, dans son dernier rapport publié en novembre 2022), ou encore un des niveaux d’électrification les moins élevés du continent, avec un taux d’accès à l’électricité de seulement 48,7 % de la population fin 2021, plaçant le pays à la 34e position selon la Banque mondiale. Ainsi, moins de la moitié de la population rwandaise a accès à l’électricité, alors que ce pays est 7,5 fois moins étendu que le Sénégal (qui affiche un taux de 68,0 %), 12,2 fois moins que la Côte d’Ivoire (71,1 %), ou encore 27 fois moins que le Maroc (99,9%).
Par ailleurs, les revenus de l’État rwandais reposent en bonne partie sur le pillage des richesses de la RDC voisine, à tel point que le Rwanda se classe régulièrement parmi les trois premiers producteurs mondiaux de tantale (un élément stratégique extrait d’un minerai nommé coltan), et même parfois à la première place, alors que son sous-sol en est pratiquement dépourvu. Un cas unique au monde de pillage à grande échelle des richesses d’un pays voisin, et qui est rendu possible par une féroce protection américaine empêchant toute sanction contre le pays, qui se permet alors même d’agresser militairement la RDC afin de poursuivre durablement le pillage de son territoire au profit de ses intérêts et des intérêts anglo-saxons (tout en étant responsable de nombreux massacres). Cette situation est d’ailleurs facilitée par le silence des pays africains, dont ceux d’Afrique du Nord, qui n’imposent aucune sanction, même pas au niveau sportif…
Le sous-développement du Rwanda est l’occasion de rappeler que l’Afrique francophone constitue historiquement la partie globalement la plus dynamique du continent africain. En effet, celle-ci a enregistré en 2022 le niveau de croissance économique le plus élevé pour la neuvième année consécutive et la dixième fois en onze ans (3,5 % en moyenne annuelle sur la période décennale 2013-2022, et même 4,0 % hors cas très particulier de la Guinée équatoriale, contre 2,2 % pour le reste de l’Afrique subsaharienne), ainsi que les niveaux d’inflation et d’endettement les plus faibles pour la 10e année consécutive. Une tendance également confirmée en 2023.
480,4 millions d’habitants mi-2023 pour le monde hispanophone
Quant à l’espace hispanophone, qui s’étend sur trois continents, celui-ci regroupe les populations des 20 pays ayant l’espagnol pour langue officielle ou co-officielle et du territoire insulaire américain de Porto Rico (où l’espagnol est également la langue officielle - avec l’anglais - et la langue maternelle de la quasi-totalité de la population), auxquelles il est éventuellement possible d’ajouter les populations hispanophones majoritaires des territoires américains frontaliers avec le Mexique, ainsi que celles des territoires béliziens frontaliers avec le Guatemala et le Mexique.
Avec une croissance de 0,9 % et un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme (1,9 pour sa partie américaine), la population du monde hispanophone a atteint 480,4 millions d’habitants mi-2023, et a ainsi été multipliée par 3,5 depuis 1950, lorsqu’elle s’élevait à 136,5 millions. Une progression résultant essentiellement d’une natalité assez élevée dans la deuxième moitié du 20e siècle. Les cinq pays les plus peuplés sont le Mexique (131 millions d’habitants), la Colombie (52,2), l’Espagne (48,3), l’Argentine (46,3) et le Pérou (33,8). À elle seule, l’Amérique hispanophone regroupe la quasi-totalité de cet espace linguistique, dont elle concentre 89,6 % de la population totale. En effet, l’Espagne et la Guinée équatoriale sont les seuls pays se situant à l’extérieur du continent américain.
Hors mouvements de réfugiés, les taux de croissance démographique les plus élevés ont été enregistrés en Guinée équatoriale (2,3 %), et, assez loin derrière, au Guatemala (1,4 %) et au Honduras (1,4 %). Quant aux taux de fécondité les plus élevés, ils ont été observés en Guinée équatoriale (4,2 enfants par femme), en Bolivie (2,5), au Guatemala (2,4) et au Paraguay (2,4). Par ailleurs, il est à noter que la partie européenne de l’espace hispanophone connaît une situation dramatique au niveau de la natalité, avec un taux de fécondité de seulement 1,1 enfant par femme en Espagne. Cependant, ce pays a connu dans le même temps une croissance démographique légèrement supérieure à la moyenne de l’ensemble du monde hispanophone (1,1 %), qui s’explique par une immigration massive et reposant en bonne partie sur un transfert de population en provenance d’Amérique hispanique, entamé depuis déjà plusieurs années.
En ce qui concerne les hispanophones issus de l’immigration et massivement présents aux États-Unis, où ils représentent environ cinquante millions de personnes, il convient de rappeler que ceux-ci ne peuvent évidemment être intégralement comptabilisés, vu que l’écrasante majorité de cette communauté linguistique a vocation à disparaître progressivement, faute de cadre juridique pérennisant la présence de la langue, et comme le confirment toutes les études qui indiquent que la grande majorité des Hispaniques de la troisième génération parlent essentiellement l’anglais à la maison, dès que l’on s’éloigne de la zone frontalière avec le Mexique. Et ce, comme ce fut déjà le cas au 19e siècle et au début du 20e pour les communautés francophones massivement présentes au nord-est des États-Unis et issues de l’immigration canadienne, et pour les grandes communautés germanophones issues de l’immigration européenne et qui étaient majoritaires dans divers endroits du pays (ou encore pour les francophones de Louisiane). Par ailleurs, la baisse de la natalité en Amérique latine et les politiques de plus en plus restrictives en matière d’immigration, aussi bien au niveau fédéral que local, réduiront progressivement l’afflux de nouveau migrants hispanophones, ce qui accélérera le processus d’anglicisation des communautés déjà présentes.
À long terme, l’usage de la langue espagnole ne devrait donc pouvoir se maintenir, au mieux, que le long de la frontière mexicaine, où de nombreux comtés sont déjà très majoritairement hispanophones, avec une utilisation massive de l’espagnol au quotidien, y compris, bien souvent, dans les relations avec l’administration et dans le domaine des affaires (même avec les organismes publics). Et selon les données du dernier recensement, effectué en 2020, ce sont 18 comtés frontaliers qui sont principalement hispanophones, parfois depuis plusieurs décennies. Ces territoires représentent une population totale pouvant être estimée à 3,4 millions d’habitants mi-2023, avec une écrasante majorité hispanique à hauteur de 85% et dont l’immense majorité demeure hispanophone (soit 2,6 millions de personnes). Toutefois, l’espagnol ne peut y être véritablement considéré comme une langue véhiculaire, puisque les relations avec la minorité anglophone se déroulent essentiellement en langue anglaise. Par conséquent, seule la population hispanophone et très majoritaire de ces comtés peut être intégrée à l’espace hispanophone mondial.
Quant à Belize, petit État d’Amérique centrale d’environ 450 mille habitants seulement, les hispanophones y sont également issus de l’immigration en provenance de pays voisins, et représentent désormais un peu plus de la moitié de la population totale, tout en étant devenus très majoritaires dans trois des six districts du pays, où ils représentent globalement les trois quarts de la population (les districts frontaliers de Corozal, Orange Walk et Cayo). Comme aux États-Unis, de jure ou de facto, l’anglais est la langue officielle et l’espagnol ne bénéficie d’aucun statut particulier. Toutefois, les hispanophones sont déjà majoritaires dans le pays, et continuent à progresser assez rapidement, notamment du fait de l’importante émigration subie par la population anglophone du pays, qui, de surcroît, souffre d’une plus faible natalité. Dans ce contexte, le pays devrait bientôt devenir très majoritairement hispanophone, ce qui pourrait entraîner l’octroi d’un statut officiel à la langue espagnole, et donc la pérennisation de sa présence et l’intégration du pays à l’espace hispanophone.
Les populations hispanophones précédemment citées des États-Unis et du Bélize ne représentent toutefois, réunies, que moins de 1 % de la population totale du monde hispanophone (0,6 %). Par conséquent, les différentes données statistiques les concernant, ainsi que les différents scénarios relatifs à leur évolution future (maintien, affaiblissement ou renforcement) n’ont presque aucune incidence sur les données globales de l’espace hispanophone.
Enfin, et pour ce qui est de Porto Rico (territoire arraché à l’Espagne par les États-Unis en 1898, qui l’intégrèrent à leur empire colonial en même temps que la quasi-totalité des possessions coloniales espagnoles, comme les Philippines), et contrairement aux territoires d’outre-mer français, dont les habitants bénéficient exactement des mêmes droits civiques que leurs compatriotes de « métropole », il convient de noter que les habitants de ce territoire d’outre-mer américain n’ont pas le droit de participer aux élections nationales (présidentielle, législatives et sénatoriales), ni d’être représentés au sein des institutions politiques nationales (Chambre des représentants - équivalent américain de l’Assemblée nationale française - et Sénat). Plus précisément, ils n’ont pour seul et unique droit que de voter aux élections législatives… mais pour élire un député qui n’a nullement le droit de voter à la Chambre des représentants. Incroyable mais vrai…
Une réalité qui concerne également tous les autres territoires d’outre-mer américains, à la seule exception de l’État d’Hawaï. Une exception qui s’explique probablement par son caractère hautement stratégique (situé à peu près au milieu du Pacifique Nord, et ayant joué un rôle crucial pendant la Seconde Guerre mondiale), voire également par le fait que près de la moitié de la population de l’archipel était blanche anglo-saxonne au moment où celui-ci acquit le statut d’État en 1959, et par là même des droits identiques à ceux des 49 autres États fédérés des États-Unis (il s’agissait alors du territoire d’outre-mer ayant la population blanche non hispanique la plus importante en pourcentage, particularité toujours valable aujourd’hui).
Par ailleurs, cette impossibilité de prendre part à la gestion des affaires de la nation et d’exercer la moindre influence, qui relève d’un schéma de type colonial et d’une approche quasi ségrégationniste vis-à-vis de territoires majoritairement peuplés de personnes aux lointaines origines non européennes, concerne également la totalité des territoires ultramarins appartenant aux Royaume-Uni, ainsi que la quasi-totalité des ultramarins néerlandais (soit 92% des citoyens d’outre-mer, l’exception concernant les seuls nationaux de minuscules îles de Bonaire, de Saint-Eustache et de Saba). Ainsi, la France est le seul des quatre pays ayant de lointaines possessions ultramarines à accorder l’égalité totale en droits civiques, et à rejeter le principe de la citoyenneté de seconde zone. Une exception mondiale… que la quasi-totalité des Français eux-mêmes ignorent.
Des perspectives démographiques différentes
À partir, essentiellement, des dernières projections publiées par l’ONU, en juillet 2022 (et qu’il convient toujours de prendre avec précaution, compte tenu des évolutions souvent inattendues en matière de démographie), la population du monde hispanophone devrait augmenter assez modestement au cours des prochaines décennies, et à un rythme inférieur à la moyenne mondiale, pour atteindre un total de 547 millions d’individus mi-2060 (soit une hausse de 14 % par rapport aux projections onusiennes pour mi-2023, contre 25 % pour la population mondiale). Dans le même temps, le monde arabophone devrait poursuivre son émergence démographique en atteignant 795 millions d’habitants (soit une hausse de 63 %). D’ailleurs, et compte tenu des données disponibles les plus récentes, essentiellement auprès du PRB, la population de ce dernier ensemble peut être estimée à environ 486,2 millions d’habitants début 2024, commençant ainsi à creuser l’écart avec celle du monde hispanophone, qui peut être estimée à 482,4 millions. Enfin, l’espace hispanophone atteindrait son pic démographique vers 2060, avant de décroître progressivement, alors que la population du monde arabophone continuerait à augmenter au-delà de cette date, mais bien moins rapidement.
Le monde arabophone devra donc faire face à un certain nombre de défis pour absorber sa croissance démographique, et en particulier dans les pays, hélas assez nombreux, connaissant de graves troubles sécuritaires, liés à la guerre civile ou au terrorisme (Soudan, Somalie, Yémen, Syrie, Irak et Libye). Du côté hispanophone, le ralentissement considérable de la croissance démographique n’a pas empêché de nombreux pays de connaître de très graves crises économiques, comme le Venezuela et l’Argentine. En Amérique centrale, certains pays ont une économie si faible qu’ils sont même en train de se faire dépasser par des pays d’Afrique subsaharienne en matière de PIB par habitant, et notamment d’Afrique francophone, partie la plus dynamique du continent africain.
Ainsi, la Côte d’Ivoire, récemment devenue le pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest continentale, malgré des richesses naturelles non renouvelables considérablement inférieures à celle du Ghana du Nigeria (le pays ayant extrait trois à quatre fois moins d’or et six fois moins de pétrole que le Ghana au cours des dix dernières années, et 40 et 60 fois moins de pétrole que le Nigeria au cours de la même période), a également dépassé le Nicaragua avec un PIB par habitant de 2 486 dollars début 2023, contre 2 255 dollars, selon les dernières données de la Banque mondiale. À ce stade, la Côte d’Ivoire est ainsi le seul pays africain aux richesses naturelles assez modestes à dépasser un pays d’Amérique hispanique (hors très petit pays africains de moins d’1,5 million d’habitants).
Par ailleurs, et en dehors de sa partie européenne, le monde hispanophone souffre globalement d’importantes lacunes en matière de répartition des richesses, faisant de cet espace l’un des trois ensembles linguistiques les plus inégalitaires au monde, avec les espaces anglophone et lusophone. En effet, et selon les données de la Banque mondiale au sujet de l’indice de Gini, six des vingt pays les plus inégalitaires sont hispanophones, aux côtés de huit pays anglophones et de trois pays lusophones (mais d’aucun pays arabophone). Une situation aux conséquences multiples, notamment au niveau de la criminalité qui atteint des niveaux records dans de nombreux pays d’Amérique centrale et du Sud, à l’image de ce qui se passe en Afrique du Sud (violences et homicides volontaires).
Contrairement au monde hispanophone, le monde arabophone est globalement parvenu à mettre en place un cadre plus favorable à la répartition des richesses et à assurer une plus grande stabilité sociale, malgré une croissance démographique plus élevée. Cependant, de nombreux efforts demeurent à accomplir afin que son émergence démographique s’accompagne également d’une émergence économique, solide et durable.
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