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Le syndrome de la chauve-souris (Réponse à la chronique de Roger Gbégnonvi)
Dans un premier temps, il faut se demander si le professeur Gbégnonvi a vraiment signé cette chronique. Si c’est le cas, elle est pour nous l’exemple-type du problème qui mine notre société. Nous, « intellectuels », sommes le problème, la gangrène, le cancer de notre société. Nous sommes, à l’image de Gbégnonvi, comme des chauves-souris : mi- mammifères, mi- oiseaux. Et comme une chauve-souris, ne sachant où nous placer, nous nous « pissons » et nous « chions » (excusez cette vulgarité) dessus continûment. On le voit dans le développement du professeur. Il affirme (peut-être sans en avoir l’intention) sans en apporter les preuves, que le vodou serait chargé de négativité et que cette négativité serait la base des misères auxquelles le Bénin (et partant l’Afrique noire) fait face. Vu sous cet angle, il nous suffirait de renier le vodoun, donc notre culture, donc nous même, pour faire notre propre bonheur.
Deux questions se posent à ce niveau : quel peuple au monde s’est-il renié soi-même et a pu, par ce reniement de soi, accéder au bonheur ? La deuxième question est : est-ce que nous ne nous sommes pas déjà reniés ? Commençons par répondre à la dernière question. La réponse à cette question est oui. Nous l’avons fait. Nous le faisons encore aujourd’hui. La colonisation est entrée chez nous et a introduit avec elle l’islam et le christianisme. Si l’islam, introduit plus tôt, a pu être assimilé et africanisé (malgré le retour de l’islam guerrier tel que les peuples l’ont connu à ses débuts aux 7e siècle comme nous le remarquons à travers le monde), le christianisme entré plus tard n’a pas encore subi complètement cette « africanisation ». Ces deux religions sont entrées de façon très violente dans nos vies : violence à la fois physique (guerre, torture, tuerie) et psychique.
Quand Gbégnonvi écrit que « l’Européen a (…) bien agi en nous apportant des trucs positifs pour contrebalancer la négativité du Vodou afin que nous ne soyons pas toujours sur le qui-vive », le professeur révèle sans le vouloir la violence, le désastre de ces religions sur la société et la culture africaines. Qui dit que Sakpata, Xêbyoso, Lègba, Dangbé sont négatifs et doivent faire peur ? Le prêtre catholique, le pasteur évangélique, l’imam musulman, l’école à laquelle nous allons, l’école non abolie du colonialiste paternaliste Jules Ferry. Ce sont toutes ces entités extérieures à notre culture qui nous ont modelés. Si Gbégnonvi voit l’échec partout (ce sur quoi il a entièrement raison), au lieu qu’il accable le vodou, il ferait mieux de chercher la pierre sur laquelle il a trébuché, qu’il laisse en paix la branche qui l’a empêché de se briser les dents. Ceci nous conduit à répondre à la première interrogation : aucun peuple au monde ne peut se construire en ignorant ce qu’il est réellement. Roger Gbégnonvi regarde dans le miroir avec les lorgnettes de l’Européen. Comme la plupart des intellectuels africains. Et il ne peut que se méconnaître ! Comme la chauve-souris, l’Africain ne connait pas sa place. On ne peut pas se construire en essayant de faire comme l’autre.
Le taureau aura beau s’entrainer comme il veut, il ne gagnera jamais une course contre le dernier des chevaux. L’Histoire nous l’apprend : la Chine, comme nous, a connu les affres de la colonisation et du reniement de soi. Elle a sombré dans la drogue, l’alcoolisme, la famine, la guerre intestine, voire le cannibalisme en voulant être comme les Européens. La révolution culturelle menée par Mao Zedong dès 1966 a poussé la Chine au rang de grande nation aujourd’hui.
Puisque l’Europe nous fascine si tant, parlons-en ! Sans vouloir rien apprendre au professeur Gbégnonvi, précisons que c’est sous la domination musulmane que l’Europe de la fin du Moyen-Âge découvre les philosophes grecs (leurs « ancêtres »). Pour sortir des ténèbres et de l’obscurantisme imposés par la religion catholique, l’Europe fera aussi sa révolution culturelle connue aujourd’hui sous le nom de Renaissance.
Cette renaissance a touché tous les domaines de la vie. C’est justement après cette renaissance, après avoir gagné cette confiance en soi, après avoir arrêté de s’uriner dessus que l’Europe a pris son envol et a dominé le monde en se basant sur son paradigme sans renier le christianisme européen ; bien au contraire ! Des intellectuels européens ont trouvé, malgré tous les maux (rappelons-nous l’inquisition et ses victimes, les huguenots et leur massacre) que cette religion a créés à la science et à la société médiévale européenne, les mots justes pour l’encenser. Citons deux auteurs. D’abord Pierre-Jean-Baptiste Nougaret auteur de « Beautés et merveilles du christianisme ». Ah oui, ce fils des Lumières européennes ne va pas du dos de la cuillère décrasser le linge souillé du christianisme européen. Il étale, à travers ce texte, son amour et son admiration pour le christianisme, en y dépeignant de façon magnanime une religion qui a pourtant pendant des siècles envahi des terres entières dans des guerres de croisades prétendument saintes. Après cet intellectuel, appelons un autre à la barre : François-René Chateaubriand, intellectuel et homme politique français, qui comme le précédent loue les merveilles du christianisme dans une série d’ouvrages intitulés : « Génie du Christianisme ou beautés et merveilles de la religion chrétienne ». Qui sommes-nous pour les juger ? Ceci n’est pas notre but. Ces deux exemples montrent juste, comme le dit le proverbe, qu’il faut être fou pour mettre du sable dans son propre gari (le gari est une farine faite à base de manioc très consommée en Afrique de l’Ouest). Ainsi, ni l’Europe, ni la Chine n’ont « singé » personne. Elles renaquirent.
Mais le professeur nous propose un faux chemin : il nous cite des saints (nous les écrivons à dessein en minuscule pour montrer au professeur que ce ne sont pas nos Saints). Qui sont-ils ces saints. Qu’est-ce qu’un Saint ? C’est avant tout l’ancêtre de quelqu’un ! Comment voulez-vous que l’ancêtre laisse ses fils pour te répondre à toi, qu’il ne connait pas ? Commençons par Saint Joseph : c’est un charpentier juif, époux de Marie (donc père de Jésus). Ensuite voyons, qui est Jeanne d’Arc ? Une jeune française adorée par les Français pour son combat pour la libération de sa patrie. Pour quelle raison devait-elle être l’objet d’une discussion si ce n’est pour la comparer à Kimpa Vita, puisque ces deux personnages ont lutté pour la liberté de leurs peuples ? Jeanne d’Arc pour la France et Kimpa Vita pour le royaume du Kongo contre l’envahisseur portugais. Pourquoi un Africain devrait élever Joseph et Jeanne d’Arc au rang de Saint ? Si ce n’est parce que nous avons cessé d’être nous-même ! Certes, nous pouvons nous inspirer de leur sagesse universelle, mais n’avons-nous pas d’exemples de personnes nous ressemblant qui ont aussi fait preuve de sagesse et de justice ? C’est ici une place que Sainte Joséphine pourrait occuper. Il faut donner à manger à nos âmes dénaturées l’esprit de cette grande Africaine que peu de personnes connait sous sa vraie identité. Elle est Sainte Joséphine Bakhita, surnommée la « petite Mère noire ». Son histoire à elle seule donnerait la force à l’Africain atteint par le fatalisme pour le réveiller de sa léthargie profonde. Son histoire parlerait mieux à la chrétienne noire, au chrétien noir. Mais aussi aux non-chrétiens africains. En tant que leur ancêtre, notre opinion est qu’elle répondrait mieux à leurs préoccupations ; elle les comprendrait plus vite, ayant vécu comme eux les misères causées par l’homme pour assouvir sa soif cupide et vorace de pouvoir et de matérialisme. Malheureusement, ce n’est pas la démarche que propose le professeur Gbégnonvi. Il nous propose de nous renier, de renier la science pour aller à la religion. Il oublie, ce faisant une chose : ‘‘L’Afrique si riche et si pauvre’’ est chrétienne et musulmane. Si le christianisme était la solution, pourquoi sommes-nous si pauvres ? Notre réponse est toute simple : nous sommes si pauvres justement parce que nous sommes chrétiens !
Pour finir, le professeur Gbégnonvi conclut sur une note pessimiste : « Acceptant tous les compromis, le Vodou impose partout sa loi du sur-place, son refus de la lumière et du progrès. L’Etat ni les chefs des religions conquérantes ne savent contrer le Vodou, piège sans fin dans lequel s’est enfermé depuis toujours le Bénin. » On pourrait excuser l’ignorance à certaines personnes, mais lorsque nous lisons une telle conception sous la plume du professeur Roger Gbégnonvi, nous avons du mal à y croire. Parce son nom fait autorité dans les milieux intellectuels de son pays, le Bénin (ancien Dahomey).
Contrairement aux apparences, nous soutenons que ce sont les religions dites révélées qui imposent partout du sur-place, leur refus de la lumière et du progrès. L’histoire est là pour en témoigner. L’Egypte ancienne, la Nubie, l’Inde antique, la Chine antique et la Grèce sont des civilisations à qui nous devons nos sciences actuelles et le perfectionnement de nos arts. Toutes ces civilisations n’étaient pas chrétiennes. Mais nous savons aujourd’hui ce que le christianisme a fait de l’Europe (l’inquisition a pendant des années interdit toute idée de progrès) et de l’Afrique (nous avons faim et au lieu de chercher celui qui a volé notre pain, nous allons à l’église ou à la mosquée pour pleurer et demander à Dieu de faire pour nous ce pourquoi il a nous dotés de mains, de pieds, d’esprit et de liberté !). Le vodou nous invite à l’action, à du concret. Ce n’est pas pour rien que les européens parlent d’animisme. Contrairement au chrétien noir, l’animiste noir ne va pas pleurer et croiser les bras et attendre un hypothétique paradis. Il se bat pour se construire son paradis ici et maintenant. Le christianisme a détruit l’Europe hier, comme l’islam obscur essaie de le faire aujourd’hui en Afrique et ailleurs. C’est l’esprit de la renaissance, l’esprit du vodou qui a construit l’Europe que le professeur loue tant. Comment peut-on prendre le vodou comme responsable de l’immobilisme ambiant, alors que c’est le christianisme qui aujourd’hui domine les esprits ? Le vodou ne faisant que résister, que réguler les ardeurs suicidaires d’une « religion conquérante » ?
En tout état de cause, le syncrétisme prôné par le professeur Gbégnonvi ne peut pas aboutir, si le christianisme est considéré comme un moyen de rendre le vodou plus beau, plus civilisé. Le vodou l’est déjà. Bien plus que le christianisme. Le syncrétisme aboutira, si et seulement si, et christianisme et vodou apprennent l’un de l’autre sur un pied d’égalité. Ainsi pourront-ils s’enrichir mutuellement des apports respectifs des différentes cultures dans lesquelles, ces religions ont vu le jour. Cela n’est possible que si l’Africain et l’Européen se désarment de leurs complexes, l’un d’infériorité et l’autre de supériorité. Enfin, on y arrivera quand les intellectuels Africains, tels Gbégnonvi, commenceront à faire ce que les intellectuels de toutes les autres nations ont fait pour prospérer : arrêter de « singer » et créer en ne reniant pas qui on est.
PS : Nous avons un grand respect pour le Professeur Roger Gbégnonvi. Il est l’un des rares intellectuels du Bénin qui sortent du confort des titres pour donner leurs opinions sur des sujets. Et en le faisant, ils s’exposent à nous, enfants qu’ils ont eux-mêmes formés. Si le professeur pense donc que nous avons travesti sa pensée, nous l’enjoignons très respectueusement de la repréciser dans une autre chronique pour la richesse des débats.
Akéouli Nouhoum Baoum