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Comme nous l’avons vu dans la première introductive de cette série d’article, le maire est l’une des pièces maitresses pour la réalisation des enjeux de la décentralisation que sont le développement locale et la démocratie à la base. En sa qualité de Président du Conseil Communal ou Municipal et d’exécutif de la Commune, chef de l’administration locale qui lui est subordonnée, le maire doit être un homme de vision. Sans une vision claire et précise pour sa commune, le maire sera balloté par toute sorte de vent et ne pourra pas poser des actes dans l’atteinte de sa vision. Certains pays africains ont en général un problème de vision, aussi bien au niveau national que local.
Qu’est-ce que la vision ?
La vision présente un état futur et désirable de la commune. Elle résume le futur auquel aspire le maire pour sa commune. Il s’agit d’une projection qualitative de la commune dans le futur. C’est ainsi que le Bénin a une vision qui inspire les visions communales : « Le Bénin est, en 2025, un pays phare, un pays bien gouverné, uni et de paix, à économie prospère et compétitive, de rayonnement culturel et de bien-être social ». La vision couvre donc un horizon de 15 à 25 ans et fait la synthèse des ambitions de l’homme pour sa localité. Cette vision que le maire porte doit naître de sa connaissance de la commune. C’est souvent, pendant que le maire, encore jeune, sillonnant sa commune, perçoit des bribes de cette vision. Voilà pourquoi les maires-consuls (terme utilisé par M. Jean-Pierre ELONG MBASSI, SG de CGLU Afrique pour désigner les maires qui ne résident pas dans leur commune et n’en ont pas une connaissance approfondie). La définition d’une vision doit refléter la spécificité, les atouts et les faiblesses de la Commune. Elle doit partir de ces réalités qui lui sont propres pour la projeter vers un avenir à la fois réaliste et ambitieux. Certains maires ou anciens maires comme Christophe Mègbédji, Rachidi Gbadamassi, Luc Atrokpo, Charles Toko, m’ont souvent confié que la qualité de leur vision pour leur commune est si forte qu’ils vivent cette perception en image. Le maire Charles Toko m’a confié un jour comment il voit la ville de Parakou, propre, moderne, bien urbanisée, bien gouvernée, jouant son rôle de grande métropole du nord Bénin, mais très décentralisée et reconnu comme un laboratoire de la démocratie locale au Bénin. Voyons un peu la vision officielle de Parakou : « Parakou, en 2025, est une commune vitrine, bien gouvernée, à économie durable, ouverte et sécurisée dans un environnement sain, de bien-être social et à rayonnement culturel national et international ».
Quelques visions des communes béninoises
– Cotonou : « En 2017, Cotonou sera une ville moderne, une ville phare économiquement solide avec un cadre de vie sain (sans inondation, propre et moins polluée). Il s’agit d’un cadre de référence économique, sociale, environnementale et spatiale de développement de la ville horizon 10 ans) ».
– Abomey-Calavi : « Abomey-Calavi est, en 2022, une Commune unie, à gouvernance concertée, à économie compétitive où la sécurité et le bien-être social sont assurés et les atouts touristiques valorisés ».
– Comé : « d’ici 15 ans, la commune de Comé est un pole économique de rayonnement régional et d’attrait touristique, ou règnent la paix et l’unité ».
– Lalo : « D’ici 2018, Lalo est une Commune désenclavée disposant d’infrastructures indispensables et servant de grenier de référence, où les potentialités sont valorisées et où règne le bien- être social et culturel ».
Comment se forge-t-on une vision pour sa commune ?
La vision qui est au départ une ambition d’un homme doit naître de la bonne connaissance de la commune, ses défis, ses potentialités, des opportunités, ses menaces et ses faiblesses. Si nous prenons le cas de François Hollande, on dit de lui qu’il avait cette ambition très forte de devenir Président de la République française. Seulement, il lui a manqué de se forger une vision pour sa patrie. Votre vision n’a rien à voir avec vos idéaux politiques ou religieux. Ces convictions interviennent dans la réalisation de la vision. Nous pouvons avoir pour vision de faire de Porto-Novo une ville administrative comme Washington, Brasilia ou encore Ankara. Mais en fonction des idéologies libérale, démocrate-chrétienne ou encore socialiste, les moyens mis en œuvre peuvent diverger.
La vision pour sa commune doit être forte, tellement forte que l’homme, une fois élu, devra la partager avec sa population, car une vision non partagée est combattue et promise à une mort certaine. L’ancien maire de Porto-Novo avait une très grande vision pour la ville capitale. Lors de certains déplacements à l’étranger, Océni Moukaram m’a fort impressionné par sa vision d’une ville de Porto-Novo moderne mais conservant son architecture ancienne. Mais plusieurs conseillers et même des agents de la ville ne partageaient pas cette vision. Ils trouvaient trop couteux les engagements du maire pour un nouvel Hôtel de ville. Il est donc nécessaire que cette vision d’un homme devienne celle de tout un peuple, de toute une commune.
Comment finalise-t-on cette vision pour en faire celle de la commune ?
Déjà, pendant la campagne pour l’élection des conseillers communaux et municipaux, le futur maire ou tout au moins la tête de liste doit présenter sa vision de la commune à ses électeurs. Je me souviens de cet exercice savamment orchestré par Jérôme Dandjinou en 2008 dans la campagne municipal à Cotonou. C’est un cas rare qui mérite d’être souligné même si le candidat n’a pas été élu conseiller. Il avait en face une machine de la Renaissance du Bénin conduite par l’ancien Chef de l’Etat, Nicéphore Soglo, candidat à sa propre succession. Cette phase est souvent négligée au Bénin du fait de l’omniprésence des partis politiques. Normalement, chaque liste devrait présenter un projet de ville ou un contrat de ville dans lequel la vision est un élément essentiel. Une fois cette vision validée par les électeurs, il revient au nouveau maire de la faire enrichir par les citoyens lors du processus de planification locale. Une fois cette vision enrichie et adoptée, elle doit être largement partagée par les élus locaux, le personnel administratif, les forces vives de la commune et l’ensemble des citoyens.
Le partage de la vision
Beaucoup de maires commettent l’erreur de ne pas partager la vision avec les élus, le personnel administratif, les acteurs socioéconomiques de la commune et les citoyens. Une erreur fatale que les outils de planification annuelle ne peuvent même pas rectifier. L’absence de partage de la vision fait que les citoyens ne payent pas les impôts, les membres du conseil communal manquent de compréhension et de motivation, le secteur privé ne l’alimente pas et la société civile rame à contre courant. En revanche, la vision partagée mobilise toute la commune autour du maire et du conseil.
La vision doit faire l’objet de séances d’explication, d’affichage public, publicitaire et de largement diffusion. Elle doit être connue de tous et le fil conducteur de tous les projets et actions publiques de la commune. Sur les papier-entête, les enseignes, dans les bureaux partout cette vision doit être rappelée. Le lien entre tous les projets et actions publiques de la commune doit être martelé quotidiennement. La coopération décentralisée, le partenariat public-privé et toutes les actions découlent de la vision.
Comment réalise-t-on sa vision malgré les urgences quotidiennes et les perturbations internes et externes ?
Au-delà du fait que l’ensemble des étapes de la planification locale découle de la vision, il faudrait consacrer quelques projets à la réalisation directe de la vision de la commune. Si nous revenons à la vision de la ville de Parakou (« Parakou, en 2025, est une commune vitrine, bien gouvernée, à économie durable, ouverte et sécurisée dans un environnement sain, de bien-être social et à rayonnement culturel national et international »), l’équipe municipale doit élaborer les projets prioritaires suivants :
– Projet de renforcement de la démocratie et de la gouvernance locale à Parakou ;
– Projet de promotion d’une économie durable à Parakou ;
– Projet de rayonnement culturel et touristique à Parakou.
Ces projets de vision financés par la Mairie, l’Etat et les Partenaires devront permettre au maire de maintenir le cap de sa vision dans un environnement communal instable et tributaire de la conjoncture économique nationale, le bon vouloir de l’exécutif et l’indifférence des citoyens.
Franck S. KINNINVO
Expert en décentralisation et Communication