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(Par Roger Gbégnonvi)
Deuxième moitié de janvier 2018. Table ronde à Cotonou autour de la croyance dominante au sud du Bénin. Elle bénéficie d’un consensus tel que la critiquer ouvertement relève d’une impiété pendable. L’un des animateurs joue pourtant les téméraires en ne faisant pas mystère de tenir ladite croyance pour une des causes de notre déroute. Après l’avoir écouté, iconoclaste et septuagénaire, un moins de vingt ans l’apostropha : ‘‘Avec vos propos déviants, si les gens sont de mon avis, vous n’aurez pas dix amis dans la société.’’ On lui répondit que, sur la dernière ligne droite avant le tombeau, on pouvait se passer d’amis.
Puis, comme s’il ne suffisait pas de cette boutade, le vieux se mit en mode mitraillette et mitrailla l’enfant. Voyons ! A son âge encore tendre, il devrait songer à être Mozart pour écrire la musique que son cœur lui chante, quitte à mourir endetté au point qu’on ignore le lieu de sa sépulture ; être Van Gogh pour peindre les tableaux que son cœur lui inspire, quitte á mourir miséreux et qu’après sa mort, ses tableaux de génie invendus ou bradés se vendent à prix d’or et brillent dans les splendides collections des amoureux d’art, japonais, américains, français, etc. ; être Karl Marx, oublié dans un cimetière de Londres, auteur d’une pensée qui faillit créer une nouvelle civilisation, Karl Marx dont Albert Camus, malgré moult critiques et réserves, dit qu’il fut un ‘‘déniaiseur hors pair’’ ; être Fleming pour inventer la pénicilline, etc. Sinon, cher enfant, le monde continuera de parler de l’Afrique en termes de continent ‘‘dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle’’ (prof. Hegel, en 1831-1832) ou même de ‘‘pays de m…’’ (Pr. Trump, en janvier 2018).
L’enfant mitraillé résista, il ne s’effondra pas. Il souriait, en voyant le vieux glisser de la déviance vers la démence. Ce qu’il disait n’avait pas de sens. Tout le monde sait que ce qui, dans notre société, donne à boire et à manger tant soit peu et même en abondance, c’est la stratégie du singe national : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, c’est-à-dire émettre les mêmes sons que tout le monde, même si, au fond de soi, le son est différent. ‘‘Frappe-toi le cœur, c’est là le génie.’’ Cette note de Rimbaud sonne ici cacophonique, sauf à vouloir se mettre la société à dos, ce qui…, ô Dieu ! On ne saurait ramer à contre-courant. De l’avis de tous : ‘‘ Ne choque pas les gens. Pense comme eux et vis tranquillement ta vie’’.
Or donc, l’enfant mitraillé l’a été à tort, car il est à l’image de sa société en mode perroquet. Etudiant, il ne se reproche pas de singer, parfait imitateur, comme l’indique son sourire moqueur. Naguère, un de ses aînés, en quatrième année d’université, orthographiait Singor pour Senghor, et ne voyait pas de mal à cette absence d’effort. A une précédente table ronde, en novembre 2017, une étudiante, membre des ‘‘Jeunes Leaders du Bénin’’ (rien que ça !), avait demandé qu’on lui citât un seul Béninois ayant réussi sa carrière sans la corruption. Traduction : ‘‘Vous êtes ridicule avec votre discours de lutte contre la corruption. Il n’y a que la magouille pour avancer dans notre société. Pépé, va te rhabiller !’’ Si l’on croit possible d’arracher un jour notre société au répétitif irréfléchi du perroquet, on se trouve en butte à la question grave de la camerounaise Axelle Kabou : ‘‘Et si l’Afrique refusait le développement ?’’ De fait, à y regarder de près, du Dahomey esclavagiste de Béhanzin au Bénin libéral de Talon, où trouve-t-on, dans notre société, un élan propre à faire mentir les Hegel et les Trump ? Roi vaincu et mort en exil. Indépendance reçue et non conquise. Etc.
Alors rien à faire ? Arrêté en tenue d’Adam pour être conduit au lieu où la tête lui sera tranchée, l’homme, affublé d’une hernie scrotale, demanda á la police du roi si un petit pagne par-dessus ne serait pas de mise avant d’aller dehors. Une certaine idée de la décence et de la dignité nous indique la tâche à faire pour mettre notre société en mode dynamique.