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La mission d’audit conduite par le Cabinet Canal Audit aux fins de vérifier la gestion du Fonds National de Micro-crédit ( FNM) a rendu son rapport. Votre journal publie ici la synthèse des travaux de vérification
1. La mise en œuvre de la politique de micro crédit aux plus pauvres par le Fnm a été onéreuse pour l’Etat entre 2007 et 2016 mais n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact pertinente et formelle.
Sur la période allant de janvier 2007 à octobre 2016, le Fnm a mobilisé environ 156 milliards de FCfa de ressources publiques dont 82%, soit 129 milliards de FCfa, ont servi à financer la mise en place de ligne de crédit en faveur de 43 Structures de financement décentralisées (Sfd).
Ces dernières sont en principe sélectionnées en fonction de leur organisation et expérience professionnel pertinente dans ce secteur spécifique. La gestion de la politique de l’Etat en matière de micro crédit portée par le Fnm a été onéreuse et s’est traduite par des coûts d’opération évalués sur la période à plus de 18% des montants mobilisés, soit 27 milliards de FCfa dont 4,2 milliards de FCfa au titre de frais de gestion payés aux Sfd, 4,6 milliards de FCfa de dépenses d’appuis institutionnels, et 17,763 milliards de FCfa de coût de gestion du Fonds.
De plus, cette activité a généré d’importants impayés. En effet, au 31 mai 2017, les créances en souffrance sur les Sfd partenaires stratégiques sur financement budget national et sur financements extérieurs (Boad, Bid, Badea) s’élèvent à 16,9 milliards de FCfa dont 14,5 milliards de FCfa au titre des microcrédits aux plus pauvres (2007-2013) et 2,4 milliards de FCfa pour la nouvelle génération de ces crédits (2014-2017).
Il convient de souligner que le dispositif mis en place fait des Sfd des intermédiaires dans la distribution des crédits. Les ressources sont mises à leur disposition pour l’octroi de crédits à une catégorie de bénéficiaires et suivant des conditions définies par l’Etat. Les Sfd doivent prendre les dispositions requises pour limiter les risques d’impayés qui sont en définitive pris par le bailleur dans une limite conventionnelle de 5%. Ils apparaissent ainsi comme des prestataires de service pour le compte de l’Etat qui les rémunère à travers des frais de gestion et la prise en charge d’une partie de leurs dépenses.
Ainsi, les opérations de crédits à l’endroit des bénéficiaires ciblés par les programmes présentent des risques élevés et de sérieuses difficultés de recouvrement des impayés compte tenu de la nature des opérations et de la qualité des débiteurs.
La situation des Sfd débitrices est présentée au Annexe 1.
2. De graves insuffisances ont été relevées dans le système de gouvernance du Fonds
Les principales défaillances portent sur :
– Un fonctionnement inadéquat de l’organe d’administration du Fonds, la Commission nationale de coordination, d’orientation et de suivi (Cncos). Cet organe n’a pas joué un rôle efficace dans la surveillance de la gestion (défaut de tenue régulière des réunions statutaires, méconnaissance de leurs prérogatives par rapport à la Direction générale).
– Une Direction générale caractérisée par une création pléthorique et non pertinent de directions techniques, la multiplication de postes d’assistants à tous les niveaux et une inadéquation presque généralisée des profils des agents par rapport aux fonctions assumée.
– Une approche de mise en œuvre des activités comportant de nombreuses imperfections au nombre desquelles on peut citer :
o lenon-respect des dispositions du manuel des procédures débouchant sur la sélection non compétitive des Structures de financement décentralisées (Sfd) partenaires ou la création de Sfd travaillant presque exclusivement pour le Fnm sans organisation ou expérience technique pertinente ;
o l’absence de critères précis de détermination des montants des lignes de crédits à accorder aux différents Sfd : ceci est à l’origine de clientélisme et d’augmentation inappropriée de ressources financières au profit de Sfd ne disposant ni d’outils ni de ressources humaines adéquates pour assurer la bonne gestion des fonds mobilisés (surliquidité et désorganisation du système de gestion des risques dans le secteur) ;
o les modalités financières retenues dans les conventions signées avec les Sfd ne sont pas raisonnables et ont occasionné des double-emplois ou des charges indues à l’Etat. C’est le cas des frais de gestion presque totalement payés à la mise en place des financements comprend des marges brutes suffisantes ;
o en plus des frais de gestion, d’importantes dépenses d’appuis institutionnels sont engagées par le FNM au profit des Sfd ou du développement du secteur sans qu’il soit possible d’établir leur valeur ajoutée concrète dans l’amélioration de l’environnement des affaires dans le secteur ;
o Les échéances infra-annuels (mensuels, trimestriels ou semestriels) de remboursement des financements accordés aux Sfd ne sont pas appropriés : chaque remboursement provoque en effet une décapitalisation des Sfd qui pourrait être corrigée avec une politique de contrôle plus rigoureuse basée sur des remboursements suivant une périodicité au moins annuelle.
3. Les dépenses d’appui institutionnel ont été globalement non pertinentes et gérées abusivement comme des compléments de frais de fonctionnement du Fnm.
De 2007 à 2016, les lignes de crédit mises à la disposition des Sfd ont été accompagnées de dépenses d’appui institutionnel directement engagées par la direction générale du Fnm pour un montant total de 4,6 milliards de FCfa. Ces dépenses sont constituées notamment d’achats de véhicules pour les dirigeants des Sfd, de matériels informatiques, de formations diverses organisées pour les cadres des Sfd à l’étranger et ne reposant sur aucune stratégie préétablie, de dépenses de mise en place de systèmes informatiques de gestion qui sont pour la plupart demeurés non fonctionnels. L’un des cas de dépenses qui auraient pu contribuer à renforcer la sécurisation des opérations dans le secteur de la microfinance est celui relatif à l’introduction de la biométrie qui a coûté plus de 813 millions de FCfasur la période sans qu’aucune exploitation concrète du dispositif ne soit encore possible. Il s’avère que les activités d’appui institutionnel n’ont eu aucun impact direct et durable sur le secteur de la microfinance au Bénin mais ont plutôt donné lieu à des dépenses dont la qualité et la pertinence laissent à désirer. La plupart des dépenses engagées auraient pu être prise en charge plus efficacement par les Sfd elles-mêmes ou imputées directement sur les charges de fonctionnement propres du Fnm.
4. Les charges importantes générées par les mesures d’accompagnement des crédits n’ont pas permis d’améliorer la qualité du portefeuille.
La gestion du portefeuille de crédit a été désastreuse sur la période avec un montant d’impayés de près de 20 milliards de FCfa au 31 décembre 2016.
Malgré le coût des crédits Fnm pour l’Etat (frais de gestion, frais de fonctionnement du Fnm et coût des appuis institutionnels), les taux de dégradation du portefeuille (montant des impayés sur crédit encours) s’est aggravé et est passé de 38,8% au 1er janvier 2013 à 60,7% au 31 décembre 2016 contre une moyenne de 8% dans le secteur en 2016. Cette situation est expliquée par le fait que le Fnm a principalement travaillé avec les Sfd dont la sélection ne repose pas sur des critères objectifs de capacité institutionnelle : personnel technique inadéquat ou insuffisant, défaillances dans le système de contrôle interne, inexistence de méthodologie de recouvrement de créances impayées, fonds propres limités etc. De plus, ces Sfd ont reçu sur la période des lignes de crédits très importantes représentant deux à douze fois le niveau de leur portefeuille avec l’entrée en contrat avec le Fnm. Au nombre des Sfd concernés, on peut citer : Aphedd, Asmab, Ccec, Cfad, Ccif, Dwm et Ceridaa.
5. Lignes de crédits irrégulièrement accordées
La revue du portefeuille a permis d’identifier plusieursSfd qui, malgré leur situation de défaut de paiement dans le portefeuille du Fnm depuis 2009, ont continué de bénéficier de crédits supplémentaires jusqu’en 2016. Le total des accumulations de crédits impayés et des frais de gestion y relatifs est estimé à 25,26 milliards de FCfa et détaillé comme suit en millions de FCfa.
En cours de crédit non échus sur crédits irréguliers
Il s’avère que cette situation découlerait de collusions entre les dirigeants du Fnm et ceux des Sfd qui arrivent difficilement à justifier la réalité des crédits et des impayés déclarés.
6. Des crédits impayés anormalement remboursés avec des fonds publics
Sur la base d’un rectificatif au relevé du Conseil des ministres en date du 07 octobre 2015 reçu par le Fnm le 02 février 2016, une partie des crédits en souffrance au 31 décembre 2013 a fait l’objet d’une compensation avec des ressources publiques mises à la disposition du Fnm à hauteur d’un (1) milliard de FCfa.
On en déduit que cette compensation, qui n’a pas été explicitement recommandée par le Conseil des ministres, constitue un acte anormal de gestion qui doit être invalidé et que des mesures appropriées doivent être initiées en vue du recouvrement des créances concernées.
7. Graves irrégularités dans la passation des marchés publics
Les principales irrégularités relevées par le cabinet d’audit portent sur le défaut de mise en place du cadre institutionnel requis et la violation presque systématique des procédures de passation des marchés.
Les points généraux relevés se déclinent comme suit :
– le défaut de mise en place de façon formelle d’une commission de passation des marchés publics et d’une cellule de contrôle des marchés publics contrairement aux dispositions du code des marchés publics ;
– la non-validation des plans de passation des marchés publics par les organes compétents avant leur exécution ;
– le manque de transparence dans les procédures de passation des marchés publics qui se manifeste par le défaut de publication des offres et des résultats des évaluations ;
– le recours systématique et non régulier à la procédure de cotation ou de consultation restreinte pour les marchés de prestations intellectuelles.
De façon spécifique, les contrôles ont permis de relever un montant total de 202 millions de FCfa de marchés passés de gré à gré sans autorisation préalable de la Direction nationale de contrôle des marchés publics ainsi que des pratiques collusoires sur des marchés publics évalués au total à 197 millions de FCfa. Ces situations sont présentées respectivement en annexe 2 et 3.
8. Dépenses non justifiées
Au cours de la période sous revue, la mission d’audit a identifié des dépenses non pertinentes ou non justifiées portant sur un montant total de 315 millions de Fcfa et qui concernent des dépenses de propagande et des primes diverses indûment payées au personnel du Fonds. Les cas relevés sont présentés ci-après :
– des décaissements d’un montant total de 111 millions de FCfa effectués sans pièces justificatives valables au profit des Sfd et de divers groupes de femmes ou d’hommes pour assurer une forte mobilisation des communautés pendant les tournées ministérielles ou les visites organisées par le Chef de l’Etat en soutien aux activités du Fnm. Selon le cabinet d’audit, ces dépenses de propagande constituent des dépenses anormales et doivent être remboursées par les responsables du Fnm qui les ont autorisées ;
– de même, pendant la période sous revue, diverses primes et jetons de présence (à l’occasion des réunions de la Commission nationale de Coordination, d’Orientation et de Suivi) portant sur un montant total de 204 millions de FCFA ont été payés au personnel du Fnm ; ceci sans prélèvement des charges fiscales et sociales y afférentes.
9. Défaillance dans la gestion de la trésorerie
Malgré la nomination d’un agent comptable du Trésor auprès du Fnm, la présence d’un Directeur de la comptabilité et d’un auditeur interne, de graves défaillances ont été notées dans le suivi des opérations de trésorerie et se caractérisent notamment par :
– la manipulation d’une pluralité des comptes bancaires (24 comptes au total) qui ne facilite pas un contrôle adéquat des transactions du fait des retards généralement pris dans l’établissement des états de rapprochement bancaire ;
– l’absence de procédures pertinentes de suivi analytique des remboursements effectués par les Sfd sur les comptes bancaires du Fnm ;
– et le non-respect des seuils de décaissement par la caisse.
La mission d’audit a en particulier relevé que les soldes des comptes bancaires résultant des confirmations des établissements financiers au 30 novembre 2016 sont globalement inférieurs de 4 milliards FCfa aux soldes qui apparaissent dans la comptabilité du Fnm. Parmi les transactions les plus significatives non encore positionnées sur les relevés bancaires du Fnm, il y a lieu de noter les cas préoccupants ci-après :
– un montant total de 3,9 milliards de FCfa de virements ordonnés du compte de Fnm ouvert au Trésor public à l’endroit de comptes bancaires du Fonds ouverts à la Boa, à la Banque Atlantique et à la Bceao. Les responsables du Trésor public ont enregistré les sorties de fonds du compte de Fnm depuis plus d’un an mais les encaissements sur les comptes indiqués ne sont pas constatés à ce jour. Les chefs des services Epargne et Trésorerie de la Dgtcp n’ont pu justifier les conditions de traitement de ces opérations et permettre au Fnm de rentrer en possession des ressources distraites.
– Divers remboursements de crédits et charges rattachées effectués par les Sfd entre 2009 à 2015 et évalués à 155 millions de FCfa ont été enregistrés dans la comptabilité du Fnm sur la base d’ordres de virement reçus des Sfd. Les montants correspondants attendent toujours d’être positionnés sur le Compte Epargne Trésor du Fnm sans que les responsables du trésor et du Fnm ne soient en mesure de justifier l’effectivité des virements. Le Directeur de la comptabilité du Fnm n’a pu justifier les normes en vertu desquelles les écritures de paiement ont été comptabilisées.
Annexes :
1. Situation des Sfp débiteurs au 31 mai 2017 : encours de souffrance relatifs aux crédits Mcpp et Mcpp-NG au cours de la période 2007-2013
2. Point des marchés irrégulièrement passés en dehors des marchés de gré à gré
3. Etat des marchés passés en gré à gré sans autorisation préalable de la Dncmp
ANNEXE 1 : Situation des Sfp débiteurs au 31 mai 2017 : encours en souffrance relatifs aux crédits Mcpp et Cmpp-Ng au cours de la période 2007-2013 (Montant en FCfa)