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(Par Roger Gbégnonvi)
‘‘Depuis des siècles, nous disons à Dieu de sortir de nos vies. Car en pratiquant la religion des Arabes et des Blancs, nous fortifions l’égrégore de leurs Ancêtres et, en même temps, nous affaiblissons l’égrégore du Peuple Noir. Comment pouvons-nous espérer que nos Ancêtres nous donnent leur bénédiction et leur protection si nous insistons pour prier les Ancêtres des Blancs et des Arabes ?’’ Déclaration à la logique apparemment scintillante.
Dans une Afrique déboussolée, cette déclaration d’une ‘‘prêtresse mystique’’ de l’ethnie Akan en Côte d’Ivoire a suscité intérêt, voire enthousiasme, chez des Africains qu’on croyait à l’abri de tout sectarisme et de toute superstition. Cet intérêt et cet enthousiasme constituent le problème car, en elle-même, ladite déclaration est de celles qui remuent le vent, lequel n’a guère besoin d’être remué. Si l’on en croit notre mystique, l’Afrique est malheureuse pour s’être attachée au Dieu de Jésus et de Mahomet au détriment du Dieu de ‘‘nos Ancêtres’’. La vérité est pourtant que la plupart des Africains restent attachés à Dieu et aux dieux de leurs ancêtres tout en lorgnant parfois, voire souvent, vers le Dieu de Jésus ou de Mahomet, puisque le syncrétisme est en harmonie avec leurs conception et pratique de la religion. Du reste, en sourdine et sur les interlignes, notre prêtresse s’inscrit bel et bien dans la tradition d’une divinité plurielle, ce qui ne peut surprendre de la part d’une Africaine. Mais on doit lui faire observer que la Beauté et la Bonté qu’on prête au Dieu de Jésus et de Mahomet sont annulées par les horreurs répandues par les chrétiens et les mahométans sur notre planète, inspirés qu’ils sont par leur Dieu, ou dans l’indifférence totale de leur Dieu.
Quant à ‘‘nos Ancêtres’’, quelles énergies positives, spirituelles et physiques, nous ont-ils insufflées pour que notre prêtresse Akan veuille nous les donner comme maîtres á suivre et modèles à imiter ? Lorsque enragés, les chrétiens et les mahométans, ‘‘Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal’’, se sont jetés sur le ‘‘Peuple Noir’’, ils ont défait nos ancêtres. Ces derniers étaient donc bien faibles avant cette invasion. Affaiblis par qui, par quoi ? Par Dieu ou les dieux ? Affaiblis, plus sûrement, par leur ego épouvantable et par leur goût effrayant du pouvoir pour lui-même, ce qui amena les plus forts d’entre eux à pactiser avec les plus forts d’entre les chrétiens et les mahométans envahisseurs pour faire du ‘‘Peuple Noir’’ ce petit-chose à la traîne, objet de pitié et de commisération. Et l’histoire sait qu’après l’abolition officielle de l’esclavage, ‘‘Béhanzin [en 1892] expédiait clandestinement des esclaves contre des armes que lui livraient les grandes firmes allemandes installées á Ouidah. Etant donné que [la] guerre franco-dahoméenne empêchait toute campagne d’hégémonie, Béhanzin s’attaquait tout simplement aux paisibles populations d’Abomey et de ses alentours sans considération de rang social ou royal. Le bas-peuple était le plus éprouvé’’ (Justin Fakambi). Maître á suivre, celui-là ? Modèle á imiter ? Ah, chère prêtresse !
Dominé hier et aujourd’hui par les siens et les autres, le ‘‘Peuple Noir’’ déboussolé se cherche, en vain. Et voilà que, n’en pouvant plus d’errer, ses têtes parmi les mieux pensantes iraient se perdre, de bonne foi, dans les sornettes d’une prêtresse mystique vaticinante. Non, pas ça ! S’il faut absolument sombrer, sombrons dans l’inconscience, comme sur le Titanic, pendant que l’orchestre joue et que l’on danse. Ou alors, prenons conscience de la vérité : l’Afrique est malheureuse au présent à cause du socle passé vermoulu, l’Afrique est malheureuse au futur à cause du socle présent vermoulu. Conscients de cette vérité, nous n’avons plus que deux tâches à faire : laisser Dieu et les dieux à leur indifférence, prêtres et prêtresses à leurs élucubrations, les Ancêtres à leur néant ; et maintenant, nous atteler à la tâche de relever le défi de notre présence active et créatrice au monde. Aujourd’hui.