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(Par Roger Gbégnonvi)
Elle a 25 ans. Jolie sans être maquillée. Titulaire d’une licence professionnelle qui lui a valu un emploi correct. Célibataire sans enfant. Souriante. C’était le 9 mars 2021. La bière réjouissait la demi-douzaine de gens réunis. La conversation roulait de sujet en sujet. On en vint à parler de nos parents. « Bof, fit la jolie dame, ils nous ont mis au monde dans le vide ! ». Frappé par l’espèce d’oxymore – le vide comme support – vous lui faites répéter la phrase, et la voilà partie dans une longue explication « afin que vous me compreniez bien ».
Je pars de la conduite sidérante de mes propres parents. A la recherche d’au moins un garçon, mes parents ont mis au monde huit filles. Papa est allé voir aussi hors du ménage. Ses femmes occasionnelles lui ont fait aussi des filles. Nous sommes quinze au total. Et c’est dingue. Tu es simple cuisinier au service d’un couple d’expatriés, et dans l’espoir d’avoir un garçon, tu engrosses sans retenue et sans contrôle, et tu donnes naissance à une équipe féminine de football plus des réservistes. C’est dingue. Il a fini par mourir en abandonnant en rase campagne une vraie veuve et quinze orphelines. Moi, c’est par une drôle de chance que je m’en suis sortie. Trois de mes sœurs, obligées de regarder parfois du côté du plus vieux métier, me disent que c’est zéro. A cause de l’abondance de l’offre, les hommes les achètent pour un morceau de pain : deux mille francs, et va te faire voir ! C’est tout cet ensemble que j’appelle « mettre les enfants au monde dans le vide ». Personne ne devrait engrosser ou se laisser engrosser sans d’abord tracer, pour l’enfant à naître, un projet, un plan d’avenir. Sinon, vous fabriquez une pléthore de marmots, et c’est l’abondance du vide.
Plus tard j’ai observé que mon pauvre père, à son propre insu, était en phase avec l’ensemble de la société, et même à travers nos institutions les plus nobles en apparence. Prenez, par exemple, la politique. Nous avons eu, dans ce pays, jusqu’à 278 partis politiques. Aujourd’hui, parce qu’il est exigé retenue et contrôle, ils ne sont plus que deux au Parlement. Hors du Palais des Gouverneurs, se traînent deux ou trois autres qui se maintiennent vaille que vaille et qui méritent, peut-être, que nous les prenions un jour au sérieux. Nous avions donc plus de 270 partis politiques tout à fait creux et qui prétendaient faire notre bien-être. Alors qu’ils ils étaient vides. Ils parlaient pour l’abondance du vide.
Prenez, par exemple, la religion. Ma pauvre mère, qui survit sans arrêt à mon père, m’a raconté que, du temps de sa jeunesse, les gens n’entendaient ici, en gros, que trois voix : le Vodun et son cortège de voduns, le Christ et son cortège d’anges, Mahomet et son cortège de djinns. Aujourd’hui, la religion aussi est en pleine cacophonie de la non retenue et du non contrôle. A chaque coin de rue, une baraque improvisée ou un garage désaffecté. Un prêcheur y prêche. Son Dieu lui a parlé. Il vous presse de venir écouter son Dieu. Et vous n’avez même pas besoin du flair de votre chien pour sentir que c’est l’abondance du vide.
Prenez maintenant ensemble ces trois abondances du vide, et constatez que ce qui les sous-tend, c’est l’amour dingue du mensonge et du faux. Mes parents, disant qu’ils nous aimaient, mentaient, car ils n’aimaient que le garçon qu’ils n’ont pas eu. Leurs filles étaient de faux enfants. Les partis politiques, disant qu’ils aimaient le peuple, mentaient, car ils n’aimaient qu’eux-mêmes, ce en quoi ils étaient des partis politiques faux. Les prêcheurs de tous ordres, nous parlant de Dieu, mentent, car ils ne peuvent pas aimer Dieu et le débiter en morceaux, gadgets produits à la chaîne et proposés à la criée. Ce sont de faux prophètes.
Vous le savez autant que moi, vos vies, ma vie, sont un bas-fond de mensonges et de faux, et je n’ai de leçon à faire à personne. Si l’homme est manipulateur de tout et de ses semblables, qui nous dira la vérité ? D’où nous viendra la vérité ? Moi, je suis désepérée.