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Jeune franco-congolaise, Marie-Anne Essebo est engagée dans l’art contemporain africain. Ses recherches sont aussi orientées vers l’art contemporain au féminin. A travers cette interview, elle partage son parcours, ses ambitions, ses projets dans le domaine de l’art contemporain ainsi que les moments forts de l’édition 2024 de la foire AKAA (Also Known as African) en France.
Marie-Anne Essebo, présentez-vous à nos lecteurs.
Je m’appelle Marie-Anne Essebo, je suis franco-congolaise et j’ai 25 ans. Actuellement, je travaille en freelance pour la foire AKAA (Also Known as African), une foire dédiée à l’art contemporain africain qui se déroule chaque année en France. Mon parcours a débuté par un double cursus en ingénierie des sciences de l’information et de la communication, ce qui m’a permis d’acquérir des compétences précieuses en gestion de projets et en communication.
En raison de mes origines et de ma passion pour l’art, il est primordial pour moi de promouvoir la création artistique sur le continent africain et de mettre en lumière son importance sur la scène mondiale. Mon engagement dans l’art contemporain découle de mes valeurs personnelles et de mon désir d’approfondir ma compréhension de ce domaine. Je suis particulièrement fascinée par les dynamiques qui existent entre l’art africain en Europe et en Afrique, et je m’efforce de contribuer à une meilleure valorisation de ces œuvres.
Parallèlement à mon travail avec AKAA, je développe plusieurs projets artistiques, dont un projet majeur qui vise à créer ma propre structure pour soutenir les artistes émergents. Je suis convaincue que l’art peut être un puissant vecteur de changement social et culturel, et je souhaite jouer un rôle actif dans cette transformation.
Parlez-nous de votre parcours
À l’origine, mon parcours scolaire ne me destinait pas directement au monde de l’art cependant ayant une grand-mère artiste peintre, ma curiosité a toujours été éveillée à ce sujet. J’ai suivi un double cursus en ingénierie des sciences de l’information et de la communication à la Faculté des Lettres de Besançon, où j’ai rédigé mon mémoire sur la thématique suivante : Les professionnels des musées face aux nouveaux dispositifs numériques. Cette recherche m’a permis de m’interroger sur les enjeux de l’art à l’ère du numérique.
À la fin de mes études, j’ai travaillé dans la branche BtoB d’Amélie Maison d’Art, une maison de collection, où j’accompagnais des clients tels que des architectes et des designers d’intérieur. Cette expérience a renforcé mon désir de poursuivre une carrière dans ce domaine. C’est alors que le besoin de me reconnecter avec mes racines et de mieux comprendre l’art africain dans son ensemble est devenu primordial. Après des recherches, j’ai pris la décision de quitter mon emploi et ma vie en France pour vivre au Sénégal, afin de plonger au cœur de l’art contemporain africain. Pour moi, il était essentiel de dépasser les frontières françaises pour saisir pleinement les dimensions sociales, économiques, politiques, et culturelles de cet art.
J’ai eu l’opportunité de réaliser une mission chez OH Gallery, une galerie renommée à Dakar fondée et dirigée par Océane Harati. Grâce à elle, j’ai découvert un marché de l’art contemporain encore peu visible sur la scène mondiale. Par la suite, j’ai participé à Art Basel, où j’ai eu le privilège de représenter le célèbre artiste sénégalais Viyé Diba, dont l’histoire et les valeurs m’ont profondément marquée, toujours sous la direction d’OH Gallery.
Au fil de ces rencontres et de mes études, j’ai pris conscience des grandes disparités entre l’art contemporain en Afrique et celui présenté en Europe. Cela m’a motivée à lancer un projet en faveur des artistes africains émergents, un projet en cours de développement, mais qui reste pour l’instant confidentiel.
À terme, j’ai pour ambition de retourner en Afrique pour travailler dans des pays comme le Ghana, l’Afrique du Sud, le Gabon ou encore le Bénin, qui me fascinent par leur riche patrimoine artistique et culturel. Enfin, mon intérêt pour l’art contemporain africain m’a naturellement menée vers AKAA. Cette foire, en réunissant des galeries du monde entier, me permet de découvrir de nouveaux artistes émergents et de mieux comprendre les différentes esthétiques qui composent ce paysage artistique.
Comment êtes-vous devenue spécialiste de l’art contemporain au féminin ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous concentrer sur cet aspect spécifique de l’art contemporain ?
Je ne me considère pas encore comme une experte de l’art contemporain au féminin, mais mes recherches me dirigent progressivement vers cette thématique. Mon intérêt principal demeure l’art contemporain africain dans son ensemble. Les distinctions entre les marchés africain et européen sont frappantes : en Afrique, l’art contemporain est en pleine effervescence, soutenu par une nouvelle génération d’artistes émergents qui, à travers leur culture, leur histoire et leur parcours, redéfinissent les codes du marché. En revanche, en Europe, les contextes et les perspectives sont différents, ce qui m’amène à examiner plus en profondeur les échanges artistiques entre ces deux continents. C’est cette dimension globale de l’art africain qui me fascine avant tout.
Cependant, cette approche m’ouvre également à un autre sujet d’intérêt : les femmes artistes. Bien que le milieu artistique soit encore largement dominé par les hommes, nous avons assisté ces dernières années à l’émergence significative d’artistes féminines sur la scène de l’art contemporain africain. Il est captivant d’observer comment leurs créations et leur vision contribuent à transformer ce paysage en pleine évolution.
Un véritable changement s’opère dans les thèmes explorés par ces artistes, reflétant l’évolution du contexte sociopolitique et des tendances artistiques. Elles continuent d’aborder des sujets cruciaux tels que l’identité, le colonialisme, la culture, la mémoire, la race et le genre, mais le font de manière qui traduit les complexités et les défis contemporains. Leur travail combine des approches traditionnelles et innovantes, offrant ainsi un panorama artistique riche et diversifié.
Quels ont été vos moments forts lors de cette édition AKAA ?
Cette édition de la foire AKAA a été particulièrement marquante, car pour la première fois, 28 femmes artistes africaines ont été présentes, parmi plus d’une centaine d’artistes au total. Bien que ce chiffre puisse sembler modeste, il représente un tournant significatif dans l’histoire de l’événement. C’est une étape importante qui montre l’engagement croissant envers la représentation des femmes dans le monde de l’art contemporain africain. Nous espérons pouvoir augmenter ce nombre dans les prochaines éditions, car il est essentiel de continuer à promouvoir et à valoriser les voix féminines dans notre secteur. Ce moment fort a été non seulement une célébration de l’art, mais aussi un symbole d’un changement en cours dans la reconnaissance des talents féminins.
Comment voyez-vous l’évolution de l’art africain contemporain, en particulier pour les artistes femmes ? Quels défis et opportunités percevez-vous ?
Les femmes artistes africaines ont toujours été présentes, mais elles n’ont longtemps ni bénéficié de reconnaissance ni pu vivre de leur art. Dans le passé, exercer une activité artistique était souvent mal perçu pour une femme, car ce domaine était largement dominé par les hommes. Cependant, avec l’évolution des mentalités, les femmes revendiquent aujourd’hui leur place et leur identité artistique avec assurance, et se positionnent de plus en plus sur un pied d’égalité. Les notions de genre dans l’art contemporain deviennent alors plus fluides, et les femmes se font entendre, prenant un espace qu’elles n’avaient pas auparavant, même si certaines formes de discrimination persistent encore. Beaucoup d’artistes s’engagent ainsi pour une plus grande égalité et une réelle ouverture d’esprit dans le milieu.
Ce parcours n’est pas nouveau : des études révèlent même que les premières artistes, celles des fresques paléolithiques, étaient en majorité des femmes, identifiées par les empreintes de main qu’elles ont laissées. Ce détail, bien que lointain, illustre la continuité de la présence féminine dans l’art et souligne l’importance de leur contribution, aujourd’hui plus que jamais.
Actuellement, l’art africain et afro descendant suscite un intérêt grandissant dans le monde de l’art. En 2022, Elana Brundyn, spécialiste reconnue de l’art africain, a souligné cet engouement particulier, dans un contexte où le marché post-pandémique a vu des ventes remarquables dans des collections de renom. Bien que le début de l’année 2023 ait été marqué par une certaine prudence en raison de l’instabilité économique et géopolitique, les œuvres d’exception continuent de susciter un intérêt solide, notamment pour les pièces de qualité.
Pour les années à venir, je m’attends à ce que cette dynamique continue. Des événements comme la foire AKAA en France et l’Investec Cape Town Art Fair en Afrique du Sud montrent combien le marché de l’art africain est en plein essor et se connecte de plus en plus au monde de l’art international. Ces évolutions offrent des perspectives stimulantes pour les artistes africains, en particulier ceux basés sur le continent, leur permettant de se faire connaître au-delà de leurs frontières. Cet engouement ouvre également de belles opportunités pour les femmes artistes, qui peuvent ainsi se faire une place sur la scène internationale et contribuer activement à enrichir l’art contemporain de leurs voix uniques.
Pouvez-vous nous parler des projets sur lesquels vous travaillez actuellement ? Avez-vous des collaborations ou expositions prévues.
Je travaille actuellement sur un projet encore en phase confidentielle, mais je peux partager que son ambition est de créer une plateforme permettant aux artistes africains de se raconter pleinement — leurs histoires, leurs perspectives, leurs identités uniques. L’objectif est de les accompagner dans le développement de leur art contemporain, de le porter sur la scène internationale, et de faire en sorte que le marché africain trouve la place qui lui revient en Europe.
Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes femmes africaines qui aspirent à une carrière dans le domaine de l’art contemporain ?
Mon message serait de croire en la force de leur voix et de leur vision. Nous vivons une époque de transformation où les identités multiples et les parcours variés trouvent leur place dans le monde de l’art contemporain. En tant que femme afro descendante, je suis fière de constater que de plus en plus d’artistes féminines embrassent ce métier, enrichissant la scène culturelle de leurs perspectives uniques et authentiques.
L’art est un espace où l’on peut se reconnecter à ses origines, explorer et exprimer pleinement qui l’on est. Mon souhait pour les jeunes femmes africaines est qu’elles osent s’affirmer, qu’elles n’aient pas peur de revendiquer leur identité et de contribuer activement à une scène artistique en pleine évolution. Chacune d’elles a une place précieuse dans cette aventure et, ensemble, nous pouvons bâtir un milieu artistique où chaque voix, chaque histoire est entendue et valorisé.
Propos recueillis par Akpédjé Ayosso
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