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(Par Roger Gbégnonvi)
Discrètement, dès le 7 mars, ouvertement, dès le 21 mars, les pilleurs au petit pied des ministères et des bureaux de la Présidence se sont mis à l’œuvre. On ‘‘rachète’’ les véhicules de fonction ou de service décrétés réformés, on chaparde climatiseurs, ventilos et frigos, on emporte tables et fauteuils, on incendie les preuves massives d’une gestion à la sauvage. Une vraie razzia. Et c’est ainsi à chaque fin de mandat. On, ce sont des ministres, des directeurs, hauts fonctionnaires de l’Etat, nos amis. Un de ces jours, nous serons accueillis chez eux dans un confort à la hausse, dont nous ne voudrons rien dire, assez polis pour ne pas demander à l’hôte d’où il tient cette aisance-plus, que nous ne lui connaissions pas hier et dont il nous honore aujourd’hui. Complicité silencieuse ? Lâcheté courtoise ? Ah !
C’est ainsi à chaque fin de mandat. Ce fut ainsi juste avant l’avènement du régime dit de changement. Et comme rien n’a été reproché aux déménageurs, on peut croire que cette indifférence approbatrice a été le premier coup de pioche du creusement de la tombe où le changement a été enterré environ six mois après le 6 avril 2006. Car si les ministres et directeurs déménageurs ont atterri ailleurs, ils ont laissé sur place, derrière eux, de bons pions qui, fidélité oblige, ont pris la relève pour continuer la besogne. Et dans les couloirs des ministères, et aux abords des bureaux de la Présidence, ce sont des propos poison lent. Alors, la rupture, ça va ? Et, dossier sous le bras, on sourit, narquois, au collègue croisé par hasard. Ou encore : c’est la rupture maintenant, hein ! Et lui, amateur de bons mots, y va de son : oh oui, et je la soutiens fortement au petit déjeuner en rompant mon pain. Ou encore : c’est la rupture, mais il faut ce qu’il faut ! Et derrière un sourire coquin, on abandonne sur le bureau, en partant, l’enveloppe renfermant la chose pour masser la bosse du bossu. Même et surtout en régime de rupture. Tant et si bien que, six mois plus tard, la rupture est morte.
Et l’on aura surpris le chroniqueur en flagrant délit d’anachronisme. Qu’on veuille l’excuser de se croire déjà hors du viseur du change-menteur. On est à une encablure de la rupture, et rien, à ce stade, n’autorise la confusion entre change-menterie et vraie rupture, bien que l’on se demande si, dès les 7-8 avril 2016, le Gouvernement du Peuple exigera des déménageurs entrés en action les 7 et 21 mars qu’ils rendent, illico presto, tout ce qu’ils ont volé, et aller répondre ensuite de leur délit devant la Justice. Oh, pas tant que ça ! Il faut laisser aux Américains ces manières peu courtoises. Le nouveau départ a juré l’impunité sur la tête de la déesse Pureté, mais il est contre la chasse aux sorcières, qui n’a rien de bon. Ce qu’il est allé négocier en tête-à-tête avec l’autre à Lomé sous le sceau du grand secret ? Peut-être, finalement, quelque subtil ‘‘après nous c’est nous’’, ourdi dans la vase grouillante, profonde et puante de la grande et criminelle impunité des chefs d’Etat africains ? Ah !
Mais ce dont personne ne voudrait douter, c’est que l’administration Talon est obligée de faire ce qu’aurait fait l’administration Obama. Exiger donc le retour immédiat des biens volés à la République et au Peuple, et envoyer les voleurs devant les tribunaux. Talon le fera sur la base d’un rapide état des lieux, sur la base des minibus photographiés aux abords des ministères pillés, sur la base de photographies des pillages stockées aujourd’hui dans les téléphones portables de nombreux jeunes, amoureux précoces de la vraie rupture annoncée. Si Talon ne le fait pas, il en sera de sa rupture comme du changement de l’autre. Si Talon ne le fait pas, il aura donné lui-même le premier coup de pioche du creusement de la tombe où sera bientôt enterrée sa rupture. Or, et Talon doit le savoir, le peuple béninois est aujourd’hui saturé de déceptions, de frustrations, de désillusions. Vraiment saturé. Une de plus, et ça ne passe plus, ça craque, ça casse. Rupture ou cassure, il faut choisir.