982 visiteurs en ce moment
(Par Roger Gbégnonvi)
Un dimanche après-midi, entre 17 h et 18 h, dans une buvette branchée d’une ville secondaire du Bénin. Chaude ambiance. Jeunes gens et jeunes filles se déhanchent à tout rompre. Les premiers, torse nu, le ventre bedonnant et dégoulinant de sueur, la bouteille de bière dégoupillée et levée en étendard, portée de temps en temps à la bouche pour de brèves succions. Les secondes, moins dépoitraillées et moins débraillées, juste un peu encanaillées côté déboulonnement des fesses pour la séduction des mâles.
Et vous sentez bien que ce n’est pas la joie, mais un désespoir joyeux, parce que ‘‘cabri mort n’a plus peur du couteau’’. Les messieurs vivent de débrouille et d’errance autour des morts arrosés les weekends. Chez les demoiselles, soit l’on vit de vente de produits GSM ou de savons éclaircissants dans des containers réformés, soit l’on est assise, la journée longue, à côté de ses portables, guettant l’appel des ‘‘papas riches’’ désireux de s’acheter des caresses. Désespoir joyeux un peu triste. Mais ils et elles savent qu’il n’y a plus que ça à faire. Plus rien ne donne de sens à rien, et on ne va quand même pas se suicider.
La religion ? Boff ! Le vaudou, dont leur cité est réputée la capitale mondiale, est en passe de s’effondrer sous leurs yeux, pris d’assaut par trois Chefs Suprêmes – comme s’il pouvait y avoir trois Papes –, le quatrième se tenant en embuscade. Il y a de l’argent à se faire dans cette affaire, et chaque dignitaire, mécontent et frondeur, s’empare d’un morceau de vaudou et s’en va avec. Et c’est ça, finalement, le vaudou. Quant au Dieu Absolu, que de castes, de chapelles et de quêtes ! Même les croyants sains ont compris que le Dieu Unique aussi, c’est pour de l’argent, surtout quand le chômage s’étend, que la désolation sociale est grande, et que le peuple déprimé est en quête de soupir (voir Karl Marx) et de consolation.
La politique ? Boff ! Après avoir ‘‘ bien bouffé le pays’’, les politiciens largement octogénaires attendent, peinards, les obsèques nationales. Leurs surgeons, largement septuagénaires, les ont remplacés et bouffent le pays à des postes aménagés pour qu’ils bouffent bien et se taisent, car ‘‘la bouche qui mange ne parle pas’’. Seuls d’abord à affirmer que LEPI, COS-LEPI et tutti quanti, c’était festival d’honoraires, indemnités et primes à gogo, danseurs et danseuses ont été rejoints, jeudi, par un député, à qui on n’en aura pas donné assez, et qui a confessé que tout ça était bel et bien une vaste mangeoire pour ses collègues et associés. Danseurs et danseuses iront néanmoins aux élections déjà truquées. Mais avant, ‘‘ces bandits de candidats’’ leur paieront un pécule, car ces ‘‘voleurs de haut vol’’ leur doivent au moins ça sur les chemins qui mènent au ‘‘grand banditisme des élections’’ (sic).
La famille ? Boff ! On n’existe pour elle que mort, pas enfant ou adolescent, mais en âge mûr, quarante ans et plus. Alors ‘‘on vous fourre dans la grande glacière’’, salle d’attente du paradis de toute fraîcheur, ‘‘où c’est que votre âme ira’’. Et les ‘‘charognards’’ organisent la fête. Autour de votre ‘‘bidoche’’, bouffe, bamboula et beuverie, fanfare en tête. Ce que traduit fort bien l’adage moderne, en français dans le texte : ‘‘Si tu commets l’erreur de mourir, nous on va manger seulement !’’ Or personne ne veut commettre l’erreur finale.
En tout cas pas les danseurs et danseuses de ce dimanche après-midi. Comme tout le monde, ils guettent la fin des autres pour s’inviter á leurs obsèques dûment mangées et bues. Et en attendant les ripailles funéraires du weekend prochain pour le repos des âmes, ils dansent de désespoir joyeux. Que faire d’autre, s’ils n’ont pas le courage d’en finir dans la mer ou de se fracasser la tête contre les pierres ? Mais il y a fort à parier que leur désespoir joyeux débouche sur un gros éclat, que le sociologue appellera révolte ou révolution, et que le politicien ne pourra pas arrêter, car ce sera le peuple en marche pour la justice.