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Les quinze dernières décisions de la Cour Constitutionnelle portent sur la violation des droits humains dans les commissariats et postes de gendarmerie. Louis Philip Houndégnon, et bon nombre de ses collègues en uniforme ont été condamnés par la Haute juridiction. Voici une autre décision qui dénonce la détention arbitraire et l’abus d’autorité dont sont coupables les forces de sécurité publique .
DECISION DCC 12-131
DU 19 JUIN 2012
La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 30 décembre 2010 enregistrée à son Secrétariat à la même date sous le numéro 2294/227/REC, par laquelle Monsieur Latifou O. CHAFFA forme un recours en inconstitutionnalité pour garde à vue arbitraire contre l’Adjudant Chef Lucien H. DEGBO en service à la Brigade des Recherches de Cotonou et demande réparation du préjudice subi.
VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;
VU la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant Loi organique sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31 mai 2001 ;
VU le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Monsieur Bernard D. DEGBOE en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
CONTENU DU RECOURS
Considérant que le requérant expose : « J’ai été en relation d’affaires avec Monsieur Uka OKORI... Les affaires ayant mal tourné, le Sieur Uka OKORI a porté plainte contre moi pour escroquerie portant sur la somme de trois millions deux cent trente mille (3.230.000) Francs CFA… C’est ainsi que j’ai été déposé par le mandat n° 5189/RP/06 du 30 août 2006 à la Prison civile de Cotonou... Le dossier de l’affaire inscrit sous n° 095/RI/06 n’a été vidé qu’à l’audience du mercredi 05 novembre 2008 où j’ai été condamné à vingt quatre (24) mois d’emprisonnement ferme. Etant en détention préventive depuis le 30 août 2008 et ayant écopé de 24 mois fermes, j’ai donc été libéré le 05 novembre 2008... » ; qu’il affirme : « Le mardi 30 novembre 2010, j’étais allé à la Brigade des Recherches de Cotonou pour prendre une convocation à une personne quand j’ai vu le sieur Uka OKORI, gardé à vue dans la même Brigade. Il a informé l’Adjudant Chef, Lucien H. DEGBO en charge de son affaire qu’il est mon créancier de la somme de deux millions deux cent trente mille (2.230.000) Francs.
Alors, l’Adjudant Chef Lucien H. DEGBO m’interpella et je lui ai confirmé lui devoir mais en lui précisant que par rapport au délit, j’ai déjà purgé la peine et que je ne peux plus être poursuivi pénalement encore pour le même délit. Il piqua une vive colère et dit qu’il ne m’appartenait pas de lui apprendre son métier et que je peux aller en prison dix (10) fois pour le même délit… Il ordonna la libération du sieur Uka OKORI et moi j’ai été déshabillé et jeté au violon en dépit de mes nombreuses protestations.
Le sieur Uka OKORI libre alla à la maison et lui ramena copie de la décision de justice. Malgré qu’il ait lu la décision de justice, il a, comme quelqu’un en mission pour Uka OKORI et en dépit des interventions de ses collègues qui ont changé d’avis au vu de la décision de justice prouvant que j’ai déjà purgé cette peine, maintenu sa décision de me garder.J’ai été gardé à vue jusqu’au jeudi 02 décembre 2010 où il m’a déféré au Parquet de Cotonou juste pour proroger ma garde à vue sans me présenter à aucun Magistrat. J’ai vivement protesté et sur mon insistance, il m’a présenté au 8ème Substitut qui a ordonné purement et simplement ma relaxe pour autorité de la chose jugée.
Malheureusement, revenu dans les locaux de la Brigade des Recherches, il m’a extorqué un engagement de payer vicié par la violence et le vice de consentement puisque obtenu dans les locaux d’une Brigade. » ; qu’il ajoute : « Mon arrestation et ma détention dans les locaux de la Brigade des Recherches de Cotonou sont visiblement contraires à la Constitution du 11 décembre 1990 en ce que les dispositions des articles 18 et 34 de la Constitution ont été violées par l’Adjudant Chef Lucien DEGBO.
En effet, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 18, « Nul ne peut être détenu dans un établissement pénitentiaire s’il ne tombe sous le coup d’une loi pénale en vigueur ». De même, l’article 4 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples n’a pas été respecté en ce qu’il dispose que « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ».
Or, j’ai été arrêté et gardé pour un délit pour lequel j’ai été déjà condamné et dont j’ai déjà purgé la peine… et que nul ne peut plus être détenu pour une dette civile et que « tout citoyen béninois, civil ou militaire, a le devoir sacré de respecter, en toutes circonstances, la Constitution et l’ordre constitutionnel établi ainsi que les lois et règlements de la République » tel que consacré par l’article 34 de notre Constitution. » ; qu’il conclut : « … ma garde à vue pendant quarante huit (48) heures dans les locaux de la Brigade des Recherches de Cotonou est abusive, arbitraire, illégale et constitue une violation flagrante de la Constitution et doit donner droit à réparation. » ;
INSTRUCTION DU RECOURS
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la Haute Juridiction, le Lieutenant Sadiatou ABDOULAYE, Commandant la Brigade des Recherches de Cotonou déclare : « … les sieurs CHAFFA Ogoun délé Latifou et UKU Kalu Okori sont des amis.
Courant mois de novembre 2008, Monsieur CHAFFA O. Latifou a été condamné à vingt quatre (24) mois d’emprison-nement ferme pour escroquerie portant sur la somme de trois millions deux cent trente mille (3. 230.000) francs CFA.
Après l’exécution de cette peine pénale, le sieur CHAFFA O. Latifou considérant sans nul doute avoir payé pour sa faute, n’a daigné rembourser la victime alors qu’il est condamné à le faire.
C’est d’ailleurs ce qu’il a démontré dans une arrogance insoupçonnable quand il a été interpellé à la Brigade des Recherches de Cotonou.
Pour répondre à votre question, le sieur CHAFFA O. Latifou a été gardé à la Brigade des Recherches de Cotonou dans le but de faire respecter les décisions du jugement. Il y est resté quarante huit (48) heures en attendant l’établissement d’une procédure qui n’a abouti puisque le Procureur en a décidé ainsi ; qu’en conséquence, aucun procès-verbal n’a été établi relativement à cette affaire et ne peut donc être transmis.
Cependant, nous joignons à la présente correspondance, l’extrait du jugement qui a motivé son interpellation. » ;
Considérant qu’au cours de son audition le 04 mai 2012, Madame Sadiatou ABDOULAYE, Commandant de la Brigade des Recherches de Cotonou, explique : « c’est en ma qualité de Commandant d’unité que j’ai signé la réponse à la mesure d’instruction de la Haute Juridiction, réponse qui a été préparée par l’Adjudant Chef, Lucien DEGBO » ;
ANALYSE DU RECOURS
Considérant que selon l’article 6 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. » ; que, par ailleurs, les articles 52 alinéa 1 et 54 du Code de Procédure Pénale édictent respectivement :
« Tout officier de police judiciaire doit mentionner sur le procès-verbal d’audition de toute personne gardée à vue la durée des interrogatoires auxquels elle a été soumise et des repos qui ont séparé ces interrogatoires, le jour et l’heure à partir desquels elle a été gardée à vue, ainsi que le jour et l’heure à partir desquels elle a été soit libérée, soit amenée devant le magistrat compétent ou tenue à la disposition de ce magistrat. ».
« Les procès-verbaux dressés par l’officier de police judiciaire en exécution des articles 41 à 49 sont rédigés sur-le-champ et signés par lui sur chaque feuille du procès-verbal. » ;
Considérant qu’il ressort des éléments du dossier que l’Adjudant Chef Lucien DEGBO, alors en service à la Brigade des Recherches de Cotonou, qui savait que le sieur Ogoun délé Latifou CHAFFA avait été condamné et avait purgé une peine de 24 mois d’emprisonnement pour escroquerie commise au préjudice de Monsieur Okori Kalu UKU, a cru devoir faire garder à vue le requérant du 30 novembre 2010 au 02 décembre 2010, pour les mêmes faits, sous prétexte que l’intéressé « n’a pas daigné rembourser la victime alors qu’il était condamné à le faire » ; qu’il s’ensuit qu’une telle garde à vue, opérée pour remboursement de dette, sans un ordre de la justice, est arbitraire et constitue une violation de l’article 6 précité de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
Considérant que par ailleurs, l’Adjudant Chef Lucien DEGBO, alors en service à la Brigade des Recherches de Cotonou, bien qu’étant Officier de Police Judiciaire, n’a pas cru devoir faire établir un procès-verbal relatif à cette affaire au mépris des prescriptions des articles 52 alinéa 1 et 54 précités du Code de Procédure Pénale ; qu’en se comportant ainsi, l’Adjudant Chef Lucien DEGBO a méconnu les dispositions de l’article 35 de la Constitution aux termes duquel : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun. » et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens ;
Ont siégé à Cotonou, le dix-neuf juin deux mille douze,
Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA Vice-Présidente
Messieurs Bernard D. DEGBOE Membre
Théodore HOLO Membre
Zimé Yérima KORA-YAROU Membre
Jacob ZINSOUNON Membre
Le Rapporteur, Le Président de séance,
Bernard D. DEGBOE.- Marcelline-C. GBEHA AFOUDA.-
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