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Une télévision étasunienne très regardée a montré en novembre 2017 un marché de vente de Nègres aux enchères en Lybie, et le monde a pris son mouchoir pour un grand concert de ‘‘Couvrez ce sein que je ne saurais voir’’. Tollé d’universelle tartufferie. Comme si l’on ne voyait pas depuis longtemps. Comme si l’on ne savait pas depuis longtemps.
L’on ne savait pas que, dans tout monde blanc, jaune, magrébin, le Nègre est méprisé, non parce qu’il est méprisable ou se comporte mal, mais parce qu’il est noir. L’on ne savait pas que, pendant les trente dernières années du XXème siècle, la Mauritanie a aboli sur son sol deux ou trois fois l’esclavage des Nègres mauritaniens, sans que l’on ne soit allé vérifier si la dernière abolition a été la bonne, si, en novembre 2017, les Mauritaniens blancs ne continuent pas de vendre les Nègres mauritaniens, sans les enchères libyennes à l’animalité trop voyante. Vendre les Nègres, d’accord ! Mais il faut y mettre la manière, ne pas les vendre comme moutons pour la tabaski. Ce n’est pas loin, certes, mais il faut éviter la superposition. L’on ne savait pas que, de la Lybie à l’Italie, les passeurs se payent parfois toute l’économie des fuyards du malheur africain, que nombre de ces fuyards périssent dans la mer noire de l’exploitation de leur malheur, et qu’il y a superposition avec l’esclavage, puisque ces morts noyés faisaient déjà pleurer Aimé Césaire, petit-fils d’esclaves : ‘‘Ma mémoire est entourée de sang. Ma mémoire a sa ceinture de cadavres !’’ Et l’on comprend qu’avec ce dépôt dans leur ADN et, dans leur mémoire, le spectre de ce que leurs ancêtres ont subi pendant quatre siècles d’une maltraitance qu’on n’impose pas aux chiens, les ‘‘Noirs américains’’ soient encore hantés, et que l’on puisse se demander quelle énergie ont dû déployer les Condoleezza Rice et les Michèle Obama pour surgir du cauchemar et exister.
La Lybie, en son temps, a acheté les chefs d’Etat africains pour obtenir qu’on rebaptise Union Africaine (UA) l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Grâce à quoi, une fois élu président de ladite Union, Kadhafi s’est intitulé ‘‘roi des rois d’Afrique’’ et trônait à l’ombre de bonshommes noirs attifés et stipendiés, sous des bonnets imités d’Ubu, encombrés de breloques à la dorure controuvée. Triste spectacle de grands guignols. Simple prélude à la question simple : aux différents sommets de l’UA, que se disent nos chefs d’Etat d’un certain langage dans certains pays, dont le Bénin, où l’ethnie B, s’appuyant sur les guerres esclavagistes, continue de dire de l’ethnie A : ‘‘Ce sont nos esclaves’’ ? Cette appellation banalisée prédisposerait à des enchères revisitées. Pour peu que nos ‘‘bailleurs de fonds’’ insistent, comme au temps de nos rois, nos présidents ne prendraient-t-ils pas la direction d’une vente discrète, vu que le parler quotidien rend la marchandise disponible ?
Le Pape François est allé à Lampedusa s’enquérir de ce que souffrent sur les mers les migrants sauve-qui-peut fuyant les pays d’Afrique et les pays en guerre. Quels présidents africains, américains ou européens, seraient capables du même élan de cœur ? Aucun ! Ils ont mangé leur cœur. Ils sont tous comptables de la misère du monde et de la misère de la ‘‘si riche et si pauvre’’ Afrique. Nul ne voit Macron abolir le franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) dont la France fait son beurre sur le dos de l’Afrique. Chez lui, à la maison, Trump dorlote les suprématistes blancs et le Ku Klux Klan, tous bouffeurs de Nègre. Nombre de pays africains sont aux mains d’apprentis sicaires, prompts à envoyer le butin en Europe et en Amérique, qui apprécient cet apport mafieux à leurs économies. Voilà pourquoi, sans crier haro sur les crocodiles en larmes pour Nègres aux enchères en Lybie, le Nègre tragique s’en remettra à Alfred de Vigny : ‘‘Fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie où le sort a voulu t’appeler, / Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler’’.