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Mémoire du chaudron 50




Contrairement à mes appréhensions, je n’eus pas le temps de m’ennuyer après le départ de mes parents et de Zéphyrine. Il eût été sans doute plus pratique pour moi d’avoir un livre à portée de main, pour passer l’après-midi dans ce lieu qui n’était pas le mien. Mais ce que je découvris là, ce jour-là, était au-delà de tout bouquin : un voyage dans le surnaturel.

Alors qu’il sonnait 14 heures et que j’étais perdu dans mes réflexions, une des portes de l’unique bâtiment de la maison s’ouvrit dans un puissant grincement. Un homme en sortit, courbé, titubant, le corps couvert de traces de coups de lanière. Il pestait et vint péniblement s’abandonner sur le banc, à côté de moi, en débitant un flot de jurons. Il était agent manutentionnaire au grand magasin du dépôt de la gare de chemins de fer de Parakou. Je ne mis pas longtemps à comprendre ce qui lui était arrivé.

Voisin du vieux guérisseur holli, Jacques (appelons-le ainsi pour protéger son anonymat) s’était lié d’amitié avec lui. Il passait le plus clair de ses heures de repos dans cette cour où il se mêlait de tout et de blagues, prenant par exemple pour une simple mystification, les voyages de l’âme dont parlait si souvent le vieux et qui lui permettaient, lorsque le cas d’un malade l’exigeait, d’aller rencontrer dans une assemblée de nuit, les personnes responsables de la maladie ou du mauvais sort, afin d’obtenir, au bout de longs pourparlers, la "libération" de son patient.

Ces histoires de sorties nocturnes dont nous avons sans doute tous entendu parler étaient une composante opératoire majeure du vieux guérisseur. Mais il y a que Jacques n’y croyait pas. "Je ne croirai à cette affaire-là que lorsque je l’aurai vue de mes propres yeux", avait-il souvent défié.

Alors, le guérisseur finit par accepter de l’y emmener, mais avec une mise en garde ferme : "Si tu fais l’idiot là-bas, je dirai que je ne t’ai jamais connu. Et ce serait alors à tes risques et périls ". Le jour convenu et à une heure précise de la nuit, les deux hommes se retrouvèrent en petit caleçon, à un point précis de la cour. Le vieux lui recommanda de toucher son corps, puis ils "décollèrent". L’instant d’après, selon les propres dires de Jacques, ils se retrouvèrent au coeur d’une immense fête foraine, dans l’une de nos villes côtières. L’ambiance, dit-il, était indescriptible. D’immenses festins se déroulaient à perte de vue.

Il déambulait silencieusement avec son guide, au milieu de cette foule compacte, insouciante et joyeuse, lorsque l’insupportable se produisit. Il aperçut, attablée à quelques pas de lui et dévorant forces gigots, une jeune dame. C’était précisément la vendeuse de bouillon de haricots qui passait au dépôt de la gare de chemins de fer chaque jour à midi.

C’était, pour être plus précis, celle à qui il faisait une cour assidue depuis quelques semaines. C’était la jolie jeune femme timide dont les courbes voluptueuses allumaient ses fantasmes. C’était enfin celle qui faisait chavirer son coeur et avec qui il s’imaginait vivre ensemble après une première vie de couple désastreuse d’où il eut son unique garçon laissé à la charge de sa mère à Bohicon.

Ah non ! Impossible de passer son chemin et faire comme si de rien n’était. Il interpella bruyamment la jeune femme : "Ainsi donc, toi-même tu viens ici ?". La suite fut un douloureux souvenir qu’il gardera sans doute pour le restant de sa vie. Son interpellation profane ameuta la foule, dix pieds à la ronde. Aussitôt saisi et ligoté, il subit un sévère passage à tabac. Son guide, dans un premier temps, prit la clé des champs, pour échapper à la furie de la foule de tous ceux qui craignaient que leur identité spirituelle soit dévoilée le lendemain par l’incurie de ce profane.

Mais il finit par revenir sur ses pas, se confondant en excuses et en supplications. Il obtint de repartir avec son hôte indélicat, mais qui, illico presto, fut contraint à l’initiation.

Le réveil fut donc naturellement pénible ce jour-là pour Jacques, qui ne put se mettre péniblement sur ses pieds qu’autour de 14 heures. Le vieux guérisseur, lui, était plutôt ricaneur et moqueur cet après-midi-là. " Tu as fini par trouver, à force de chercher", lançait-il de temps à autre, sur un ton narquois, en direction de l’infortuné nouvel initié.

C’était la première fois que j’entendais in vivo ce genre de témoignages, récit fait sur un ton naturel, par un témoin direct. Les traces de lanière étaient là et encore fraîches. Je n’avais aucun moyen de douter. Je passai le reste de l’après-midi à méditer ce que je venais de voir et d’entendre.

Je repensai à ce récit que nous fit mon père du jour où il fut réquisitionné pour conduire un groupe de vieillards édentés, arrêtés et reconnus coupables de pratiques d’obscurantisme et de sorcellerie à Abomey, vers une ferme de rééducation située sur les rives du fleuve Okpara, à l’est de Parakou. C’était dans la période de braise du Parti de la révolution populaire du Bénin et de la lutte patriotique contre l’obscurantisme.

Le voyage eut lieu de nuit. Les accusés furent parqués dans une semi-remorque que mon père reçut donc mission de conduire jusqu’à l’Okpara. Mais il fut bien avisé, avant d’aller tenir conciliabule avec ces passagers d’un genre si particulier et de requérir leur autorisation avant de mettre le moteur en marche. Et même si cela n’empêcha des démonstrations de puissance de ces derniers tout au long du trajet, il put néanmoins les conduire à destination.

Ils furent en effet capables de couper le moteur du camion quand ils estimaient inconfortables les secousses de la route, d’accélérer ou de ralentir, depuis la remorque, le régime du moteur, de rendre momentanément inopérationnel le système de freinage ou de déclencher le klaxon indépendamment des manoeuvres du chauffeur.

Une histoire que j’aurais accueillie avec beaucoup de doute, si elle n’était pas dite par l’un de ses acteurs principaux, mon père. Et voilà que cet après-midi encore, je me retrouvais devant un témoignage frais, de la part de quelqu’un qui venait à peine de sortir d’une expérience surnaturelle au pays des festins nocturnes.

Afrique !...

Il est 20 heures et ma séance de désenvoûtement venait de démarrer. Dans la petite chambre faiblement éclairée par une lanterne, une bassine fut placée au centre, à côté d’un seau rempli d’eau, exactement comme si on voulait donner le bain à un nouveau-né.

À côté du seau, se trouvait un tabouret sur lequel étaient posés l’éponge en fibres naturelles et le savon noir à base de soude, communément appelé "kôtô". Le banc sur lequel je passai toute l’après-midi était maintenant disposé dans la chambre et était occupé par mon père, ma mère et ma soeur Zéphyrine. Le vieux guérisseur s’assit à l’autre bout de la chambre, le regard plongé dans un morceau de miroir serti de cauris, comme s’il se fut agi d’un écran de téléviseur.

Lorsqu’il sembla y avoir repéré ce qu’il cherchait, il me demanda de me mettre à quatre pattes, la tête au-dessus de la bassine. À son signal, un jeune homme, dont je n’avais pas remarqué la présence dans la maison depuis que j’y avais mis les pieds, commença délicatement, très délicatement, à frotter ma tête avec l’éponge qu’il avait fait mousser. De temps en temps, il versait un bol d’eau sur ma tête, puis changeait de sens de rotation à l’éponge sur ma tête, selon les indications que lui donnait le guérisseur, dans un fongbe approximatif.

Bientôt, je commençai à baver de façon incontrôlée, pendant que le jeune homme poursuivait le délicat mouvement de l’éponge sur mon cuir chevelu. À un moment, j’entendis un bruit caractéristique de chute d’objet métallique au fond de la bassine qui se remplissait progressivement. Un autre bruit plus velouté suivit, puis le vieux guérisseur, soulagé, demanda qu’on me rinçât abondamment la tête et qu’à l’aide d’un tamis, on filtre l’eau dehors. ’’Ramenez-moi ici tout ce que le tamis retiendra", ordonna-t-il.

Et le tamis avait effectivement retenu les objets responsables de ma douleur si insupportable : une aiguille et un fragment de bouton de chemise.

Je sentais désormais ma tête légère, comme si on y avait ôté une couronne d’épines. Ma convalescence fut ensuite longue. Je réappris progressivement à me tenir debout et à marcher. Je ne remis plus les pieds au collège et n’eus plus aucune occasion de toucher à mes cahiers avant la composition de l’examen du Brevet d’études du premier cycle ( BEPC) que je composai dans des conditions surréalistes.

Je passais toute la nuit sous perfusion, puis le lendemain, mon père me conduisait jusque dans la cour du centre de composition du lycée Mathieu Bouké. Là, on me transportais dans la salle d’examen, sous les regards étonnés et compatissants de mes camarades de classe. J’écrivais le minimum que je pouvais sur la copie d’examen, et parfois le surveillant devait régulièrement me réveiller d’un profond sommeil. C’est pourtant un Tiburce totalement guéri et plein de vie qui rentra du centre de composition après la dernière épreuve de cet examen. Bien entendu, je n’avais aucune idée de ce que j’ai écrit sur mes copies d’examen. Je me surprenais même parfois à ne plus trop savoir si j’avais écrit mon nom sur lesdites copies.

Mais la conviction de mes soeurs aînées Zéphyrine et Marguerite était ferme : leur jeune frère n’échouerai pas. Je trouvais leur foi folle, mais je ne faisais rien pour les ébranler. Et le jour de la proclamation des résultats, ce furent elles qui eurent raison. J’avais décroché le BEPC...

Ces épisodes de ma vie impactèrent fortement la nature des rapports qui seront les miennes plus tard avec Dieu, la foi et la religion. Tiburce est-il un chrétien évangélique soumis, fervent et modèle ? Beaucoup de mes "frères en Christ " qui ne craignent pas de me déplaire, vous répondront certainement avec des nuances. Je sais pourtant que c’est ainsi que Dieu me préfère, libre et même iconoclaste au besoin.

Et c’est avec ce même esprit de liberté intérieure que j’assistais, ce matin, à la première réunion de la direction de campagne du candidat Yayi. Une première prise de contact au cours de laquelle l’assurance, et la vivacité d’esprit de Vicencia Boco me marquèrent positivement. Mais elle connaitra bientôt le destin de la chauve-souris. Acceptée ni par les oiseaux, ni par les mammifères.

*Tiburce ADAGBE*

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21 mars 2018 par Judicaël ZOHOUN




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