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Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur au Bénin :La corruption piège les diplômes
La corruption frappe de plein fouet le secteur privé de l’enseignement supérieur au Bénin. Sur le chemin qui conduit à l’obtention d’un diplôme de BTS, de Licence ou de Master dans ces Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur (EPES), que de faits, de comportements, d’actes, de gestes et de paroles empreints de fraudes.
Romuald D. LOGBO
La corruption dans les EPES est bel et bien une réalité au Bénin, affirme sans ambages, Marie-Odile Attanasso, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. « Ce qu’on constate dans les privés, c’est que les gens font six (06) mois, ils ont la licence. Je vais dire la vérité à la population. Les gens achètent des diplômes. On ne peut plus continuer avec ça. Nous avons beaucoup de faux diplômes que nous avons avec nous et ils ne peuvent nous dire le contraire », précise l’autorité ministérielle. Elle entend restaurer l’autorité de l’Etat dans ce secteur. Martin VioutouAssogba, président de l’ONG ALCRER confirme le phénomène à travers cette confidence : « En travaillant avec la Commission des faux diplômes mise en place par le régime Patrice Talon, nous avons interpellé des gens qui nous ont supplié de ne pas révéler qu’ils sont détenteurs de faux diplômes obtenus dans des EPES ». Pour Roger Gbégnonvi, professeur de Lettres à la retraite « si la corruption est répandue dans les universités publiques, elle est la règle dans les EPES ». Il se justifie : « Il est de notoriété publique à l’UAC et je parle de cet établissement dans lequel j’ai enseigné pendant 30ans d’affilée, que les jeunes filles doivent se donner à leurs professeurs si elles ne veulent pas passer 4ans en 1ère année à ne pas bouger. Nous faisons pression sur nos étudiantes pour qu’elles deviennent nos maîtresses pour avoir des diplômes ».
La rédaction commandée des mémoires en vue de la soutenance est aussi une autre gangrène du système. Roger Gbégnonvi rapporte : « Un étudiant m’a choisi comme son directeur de mémoire. Nous avons ensemble retenu le sujet. Il disparait puis réapparait neuf mois après avec le mémoire tout rédigé et prêt à être publié. J’ai alors compris que c’est ainsi que l’on fabrique les mémoires. Et contre 200.000F ou 150.000F, le professeur y appose sa signature ». Une pratique qui ne déplait pas aux étudiants des EPES, à en croire l’ancien ministre de l’Alphabétisation qui conclut : « Ce que je dis, prend racine à l’Université d’Abomey-Calavi. Pour y avoir enseigné 2 ou 3 ans, je me demande s’il en est ainsi du bois vert, ce qu’il en serait du bois sec des Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur dont le but n’est pas d’enseigner, mais de se faire de l’argent ».
Les EPES comme nid de corruption …
« Vous êtes dans un même bureau au service avec un collègue qui vient un jour vous dire qu’il a la Licence et qu’il est parti faire cours du soir alors que vous savez bien qu’il n’a jamais été au cours », témoigne Théodore Codjia, un cadre en service au ministère des Finances, rencontré à la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur (DGES). Son témoignage renseigne sur l’image que l’opinion se fait de la qualité des diplômes délivrés par les EPES. En réfutant tous ces procès faits aux EPES dont il est l’un des porte-voix, Marcellin Zannou, président du Patronat des Etablissements Privés d’Enseignement Supérieur (PEPES) se défend : « C’est le ministère qui vient inspecter. S’il se laisse corrompre ou s’il prend des gens pour créer des réseaux mafieux, ce n’est pas la faute à nous qui avons décidé d’agir dans la rigueur et de refus à compromission ». S’appuyant sur le référentiel du CAMES à la Page 123, article 4.6.1 portant délivrance des diplômes, Marcellin Zannou, Fondateur Directeur Général de l’ISMA souligne que les promoteurs d’EPES sont en principe directement appelés à délivrer des diplômes à leurs étudiants. C’est justement à ce niveau que s’enracinent des faits de corruption, lui répond David Azocli. « Nous avons constaté au cours de l’étude des dossiers, que des étudiants font une 1ère année, et, c’est 5ans, voire 10ans après, qu’ils reviennent faire une 2ième année. Il y en a qui sont exclus des universités publiques avec 05 de moyenne et qui envahissent les EPES contre ce que vous savez », lâche-t-il sourire aux lèvres. Sur le cas de détention de faux diplômes par certains membres du personnel des Forces Armées Béninoises, l’ancien DEPES, auteur de la dénonciation du scandale révèle : « S’il y a eu cette affaire de faux diplômes, c’est parti des EPES. Ces militaires faussaires ont dû négocier avec ces établissements ». Avis que partage sans réserve Jean-Baptiste Elias, Président de l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC). Une pile de dossiers de faux diplômes trône sur son bureau. Il ouvre une chemise et sort le diplôme d’un cadre nommé à de hautes fonctions dans l’une des structures sous tutelle du Ministère de l’Energie. Par Arrêté ministériel N°003/MESRS/CAB/DC/SGM/DPP/DGES/SP du 23 mars 2001 portant création de l’ESPAM-Formation et vu le procès-verbal de la délibération en date du 29 mai 2010 à Cotonou’’, l’impétrant s’est vu délivrer le « Diplôme de Master en Management des Projets », alors que l’établissement n’est pas autorisé à former pour cette filière. Le procès-verbal de la délibération est bel et bien daté du 29 mai 2010 à Cotonou tandis que le diplôme, lui, a été signé le 15 juillet 2011 à Natitingou. Pour corroborer les propos de David Azocli, il donne tout serein, le récent exemple d’un directeur général d’une société d’Etat. « Le fait qu’un DG ait réussi à avoir deux diplômes portant le même titre pour la même discipline à deux années séparées prouve bien qu’il y a quelque chose qui s’est passée que nous appelons corruption », déduit Jean-Baptiste Elias qui pense que cette situation amène les étrangers à jeter leur dévolu sur le Bénin.
De l’invasion du Bénin par les étrangers …
« Beaucoup d’étudiants nigérians, gabonais et centrafricains… s’inscrivent dans nos universités privées. Une bonne partie de ces étudiants passent le temps à ne rien faire, à ne pas aller au cours, à ne pas suivre régulièrement le cursus ; mais en fin de compte, arrivent à corrompre, obtiennent les diplômes et rentrent chez eux », informe Martin Vioutou Assogba pour montrer la fragilité et la perméabilité de ce sous-secteur. Il indexe l’enrichissement par la corruption de ces promoteurs d’EPES. « Le Bénin contribue à la destruction de l’économie de mon pays par la mauvaise qualité des ressources humaines qu’il lui envoie », renchérit l’ancien ambassadeur de la République fédérale du Nigeria près le Bénin, en fin de mission, pour fustiger la qualité de l’éducation donnée à ces compatriotes à la quête du savoir au Bénin. Une déclaration qui ne surprend guère Jean-Baptiste Elias : « Quand je vous dis qu’il y a des responsables d’EPES qui délivrent des diplômes à des Béninois et même à des étrangers contre de fortes sommes d’argent estimées parfois à des millions de nos francs, c’est de la corruption ».
Corruption dans les EPES :Des cadres du ministère pactisent avec le diable !
Des agents et cadres du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique s’adonnent à des pratiques de corruption qui discréditent l’enseignement supérieur au Bénin ainsi que les diplômes qui y sont délivrés.
Romuald D. LOGBO
Des cadres et agents du ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ne sont pas étrangers à la corruption en vogue dans les EPES. Ils sont généralement de mèche avec les promoteurs privés d’enseignement supérieur. Bien que connaissant les textes qui régissent le secteur, ils les foulent aux pieds allègrement. Des fonctionnaires en service à la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur, avertissent des promoteurs lors des visites d’inspection surprise (descente inopinée sur le terrain) en leur suggérant la location au besoin du matériel qui leur manque. L’objectif est de montrer à l’équipe d’inspection qu’ils sont en règle vis-à-vis des normes établies. Pire, certains d’entre eux sont des enseignants dans ces établissements privés. Ils s’affichent même comme président du Conseil scientifique et pédagogique aux yeux et à la barbe de tous, même s’ils n’ignorent pas que l’établissement n’est pas en règle. Or, l’un des critères conduisant à la co-signature est bien la qualité du personnel enseignant. Les textes élaborés à cet effet par le ministère de tutelle conformément au référentiel du CAMES disposent : tous les EPES doivent employer un personnel académique permanent à hauteur de 60% du personnel global et un personnel scientifique de l’ordre de 40%. Une disposition bien connue dans le secteur privé d’enseignement supérieur, mais bafouée par ces promoteurs d’EPES qui contournent les textes avec l’onction de certains administratifs. La preuve en est d’ailleurs que dans les EPES parcourus lors de notre enquête, aucun d’eux ne défère à cette disposition phare du processus. Au contraire, bien des titulaires de la Licence ou du Master des collèges et lycées y enseignent.
Le ver est dans le fruit…
Laxisme, clientélisme et corruption caractérisent le processus de recrutement des enseignants de ces EPES. Des cas de détention de faux diplômes présentés par ces derniers pour leur recrutement, on en compte par centaine, à en croire le Président du FONAC qui explique : « Nous avons des cas où des enseignants qui devraient être des enseignants qualifiés pour une filière donnée, ne le sont pas mais ont enseigné dans cette filière, ont fait partie des jurys de soutenance de mémoire de cette filière sans en avoir les compétences ». Vrai !, s’exclame Martin Vioutou Assogba qui renchérit : « Vous avez aussi certains de ces EPES qui n’ont pas le personnel requis pour faire le travail parce que payant les enseignants au rabais ».
Si les différents acteurs rencontrés au cours de notre enquête accusent l’actuel DEPES Dodji Amouzouvi d’être président du Conseil scientifique et président de jurys de soutenance dans plusieurs EPES, celui-ci nie en bloc ces accusations. Il plaide non coupable, crie à la manipulation et à l’intoxication des ‘’anti réformistes’’. Rencontré à son bureau à Kindonou en pleine ville de Cotonou, le mercredi 24 Mai 2017 aux environs de 17heures, Dodji Amouzouvi (habillé en tenue locale ‘’Bomba’’ de couleur jaune à parements roses) se défend. « La présence d’un individu qui qu’il soit ne peut être un sésame pour l’établissement. C’est un ensemble de pièces, un ensemble d’inspections, un ensemble de dispositions qu’on remplit pour être homologué, la même chose pour les programmes » a-t-il déclaré. Une défense balayée du revers de la main par certains promoteurs des EPES et cadres qui soulèvent le principe de délit d’initié. Pour le Colonel Marcellin Zannou et un autre responsable d’un des services décentralisés du Ministère de l’Enseignement Supérieur qui a requis l’anonymat, Dodji Amouzouvi ne peut être juge et partie. Selon eux, sa présence dans ces EPES crédibilise ce qui s’y fait. « Bien que la plupart de ces EPES dans lesquels il intervient ne soient pas en règle, il n’a pas le courage de les dénoncer ou de les fermer parce que nourri et entretenu aux frais de scolarité des étudiants », alertent ces promoteurs. « C’est un délit d’initié et ça fait, par ailleurs, de la corruption si ces critiques à l’encontre du DEPES Dodji Amouzouvi étaient vérifiées », observe à son tour le Président de l’ONG ALCRER, Martin ASSOGBA. De nos investigations, nous avons également pu mettre la main sur un document officiel signé des mains d’un cadre supérieur en service à la Direction Générale de l’Enseignement Supérieur qui aurait saisi officiellement le ministre nigérian de l’éducation par courrier N°268/MESRS/DGES/DPEPES/SA du 08 Avril 2016 pour reconnaître un EPES en l’autorisant à former dans des filières, document que seule la Ministre de l’Enseignement Supérieur ou à défaut, son Secrétaire général est autorisé(e) à délivrer. « Ça signifie que ce cadre est un cadre corrompu et qu’il a des accointances avec le fondé de cet EPES-là », interprète Martin Vioutou Assogba. Un délit puni par l’article 11 de la Loi N°2011-20 du 12 Octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin. De même, le fils d’un Ministre détenteur d’un Bachelor aurait sollicité les services de la DGES pour son équivalence en Licence en vue de son inscription en Master à l’ENAM. Impossible, lui déclarent les cadres. Après étude du dossier, ils lui indiquent le chemin de la reconnaissance du diplôme. « Quelques minutes après, le dossier passe comme une lettre à la poste et reçoit un avis favorable », s’étonnent ces mêmes cadres qui soupçonnent un arrangement entre collègues Ministres. Une infraction punie aussi par l’article 50 de la même Loi.
(Enquête réalisée dans le cadre du projet : « Pour des Médias plus professionnels au Bénin « de la Maion des Médias financé par OSIWA)
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