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(Par Roger Gbégnonvi)
‘‘Allons, de noms de gloire je veux couvrir vos noms d’esclaves… C’est d’une nouvelle naissance, Messieurs, qu’il s’agit !’’ Cher Aimé Césaire, c’est loupé ! Tes Messieurs, on les vend encore en Libye. En dehors des cultes de très hauts décibels où certains hurlent ‘‘born again’’ pour que vivent à leurs dépens pasteurs et prophètes, nous ignorons ta ‘‘nouvelle naissance’’. Tes ‘‘Officiers du Royal-Dahomet’’ ? Aux abonnés absents. Mais tout cela avait été entrevu par ton jeune frère Frantz Fanon. Noir et psychiatre, il avait analysé l’ensemble des Noirs comme ‘‘Les damnés de la terre’’. Ne le sommes-nous pas pour de bon et pour de vrai ? Les organisateurs du monde humain avaient Youpins, Bougnouls, Harkis définis pieds noirs blancs algériens-français, Blacks, Beurs, etc. Pour plus de clarté, ils viennent de distinguer les ‘‘pays de merde’’ qui sont, en majorité, ceux des Noirs. Qu’opposer à ce label ?
Ayant lu dans nos âmes, Frantz Fanon avait conclu que notre volonté d’échapper à de tels labels passerait par une singerie appuyée, c’est-à-dire une damnation assumée : ‘‘Le Noir veut être comme le Blanc. Pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc. Il y a de cela longtemps, le Noir a admis la supériorité indiscutable du Blanc, et tous ses efforts tendent à réaliser une existence blanche.’’ Qu’opposer à l’analyse du psychiatre ? Au Dahomey devenu Bénin et resté ‘‘cartier latin de l’Afrique’’ (singerie !), on fait dans l’outrance pour être sûr de vraiment ‘‘réaliser une existence blanche’’. Le Blanc américain a inventé la grève afin que les ouvriers surexploités s’en servent contre leurs exploiteurs éhontés. Nous, Béninois, agents permanents de l’Etat, nous nous en servons pour faire baver l’Etat, l’amener sur les rives de l’agonie. D’ailleurs, on s’en fout ! Si l’anarchie est au bout des grèves, on est preneur. Qu’on n’aille donc pas nous faire peur ! Le Blanc a inventé l’avancement au mérite à des fins d’excellence. Nous Béninois, agents permanents de l’Etat, sommes excellents sans test. Nous évoluons en fauteuils capitonnés et bureaux climatisés. L’avancement au mérite refusé, nous avançons joyeusement de grève en grève. Exaltant ! Le Blanc a inventé la chambre froide pour ses vivres à congeler. Nous, Béninois, faisons mieux, nous y congelons nos morts pour leur épargner, le plus longtemps possible, la canicule du tombeau. Cet hiver rigoureux dans un tiroir d’attente leur plait. Ils sont fiers de nous voir étaler ainsi l’argent que nous avons et dont témoignent nos immeubles rutilants emplis de vide et nos buvettes vastes emplies d’entraîneuses tout à fait dépigmentées pour faire vraiment ‘‘Peau noire, masques blancs’’ (Fanon dixit) et procurer à tout cavalier emporteur le ravissement recherché de chevaucher une jument vraiment blanche. Et il est vrai que, au Bénin, on blanchit volontiers, car quelques-uns d’entre nous fournissent le monde en trucs dispensateurs de paradis artificiels. Ils y gagnent gros. Mais tant de magot entassé sur des comptes en banque peut faire jaser les chercheurs de traçabilité. D’où nos entreprises sans souci de rentabilité. On blanchit.
Césaire Aimé, voilà un résultat de l’impromptue ‘‘introspection négro-béninoise’’, le monde des Noirs observé de la lucarne du Bénin. Ni mer ni fleuve ne nous rendant voisins de l’Italie ou de la France pour nous permettre de coller carrément au Blanc, François, Pape, Macron, Président, n’ont pas rencontré des masses de Béninois à Lampedusa ou à Calais où ils ont apporté, l’un, la torture de l’espérance, l’autre le bâton de la fermeté. Toute sollicitude dont se moque le Noir qui sait son destin blanc réalisé, même dans ‘‘la Jungle de Calais’’. Césaire Aimé, tu as confessé : ‘‘Oui, je ne hais rien tant que l’imitation servile… ‘’ Mais tes Noirs au Bénin et ailleurs rigolent, se complaisent dans la singerie, batifolent dans le servilisme. Alors fâché, tu as écrit : ‘‘Et les chiens se taisaient.’’ Mais non, nous chantons et dansons. Ah, Césaire Aimé, et toi aussi, Frantz Fanon, quel drôle de destin que le nôtre !