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(Par Roger Gbégnonvi)
On ira au médecin-dentiste, Justin Tomêtin Ahomadègbè, par un détour long, volontairement éclectique, qui commence chez le Dr Emile Derlin Zinsou. Quand l’armée lui fit appel en urgence pour diriger le Dahomey, les caisses de l’Etat étaient vides. La France ne comblait plus le déficit mensuel du salaire des fonctionnaires. Volontariste, prenant le taureau par les cornes, Zinsou confirma l’abattement de 25% desdits salaires, étendit l’impôt de capitation à tous hommes et femmes en âge légal de s’en acquitter. Le budget de fonctionnement de l’Etat imposait ces mesures draconiennes, et ‘‘Je ne serai pas le chef prostitué d’un pays à genoux’’. Zinsou voulait un Dahoméen fier, amoureux de la patrie. Mal lui en prit. Mauvaise humeur, grogne et grèves. L’armée, qui lui avait confié le pouvoir le 31 juillet 1968 ‘‘pour cinq ans au moins’’ afin qu’il redressât le pays et ses finances, le lui reprit après seize mois, le 10 décembre 1969. Réformes refusées, la faillite du Dahomey prolongée.
En 2018, le président IBK n’est pas maître chez lui au Mali. Des alliés étrangers coalisés protègent son pays contre les Djihadistes et contre les menées séparatistes des rebelles Touaregs. La France rend public le compte exact de ses morts au Mali, pour qu’on n’aille pas lui reprocher demain ses exigences en matière d’‘‘échanges’’ commerciaux avec le Mali, qui doit en effet payer pour le sang des Français aujourd’hui versé sur son sol. Il en est ainsi parce que, au Mali comme au Bénin, dans la pénombre des indépendances octroyées, on n’a pas fait les réformes profondes imposées par l’héritage, on s’est contenté de gérer le legs colonial que seul peut gérer le colonisateur. Pas étonnant qu’il soit retourné au Mali. Mais le Bénin ne ‘‘bénéficiera’’ pas d’un tel retour car, pour la France, le Bénin en soi n’est pas intéressant. Historiquement, ‘‘ce couloir du Dahomey’’ a valu ‘‘comme accès au Niger et comme débouché sur le Bénin de tout le Soudan central’’, et donc, sur le Mali. Or à l’ère des avions gros porteurs, la France n’a plus besoin du couloir bénin. Sauvé, le Bénin ? Voire !
En 2014, non loin de Cotonou, une élève de 14 ans est engrossée par son professeur. Collège abandonné. En 2018, elle porte une nouvelle grossesse. En plus d’elle et de son aînée, sa mère, célibataire, 40 ans, nourrit six autres enfants en vendant à la criée de la tomate. Elle ne se plaint pas, car ‘‘La progéniture est tout bénéfice’’. Mieux dit : ‘‘Quand une femme n’en a pas sur les genoux, elle doit en avoir dans les entrailles’’. A 14 ans donc, voici la toute jeune fille dans son destin atavique de porteuse de bébés jusqu’à ce que ménopause s’ensuive. La tradition s’en réjouit. Et l’engrosseur de professeur peut continuer à fabriquer des grands-mères, satisfaites qu’il leur abandonne la séduite avec le bébé. Et il n’y a que Aimé Césaire pour s’alarmer : ‘‘Le matériau humain lui-même est à refondre’’. Rien que ça !
Du 25 janvier 1964 au 29 novembre 1965, Ahomadègbè a été Chef du Gouvernement du Dahomey avec son parler-paysan, son parler-vrai. A des infirmiers grévistes, il confia une après-midi dans son bureau que sa femme et lui avaient déjeuné avec du djogoli (sic) haricot bouilli + farine de maïs + huile de palme. Au téléphone, l’épouse confirma. Il demanda ensuite aux grévistes : ‘‘Où voulez-vous que je prenne l’augmentation de vos salaires ?’’ Car, bien avant Zinsou les caisses de l’Etat se vidaient déjà. Un autre jour, apprenant qu’un de ses ministres, en mission à Paris, s’y était procuré, aux frais de l’Etat, un stylo à 80.000 f CFA, il s’insurgea : ‘‘Mettez-le en débet, qu’il rembourse au pays ce qu’il lui a volé !’’ Et, brandissant son Bic : ‘‘C’est avec ça que je signe les accords internationaux. Il coûte 25 f au marché.’’ On peut donc, en 2018, sur le vaste chantier des grèves ouvert depuis 1963 et qui ne construit pas le pays, se demander : Et si chaque Béninois se faisait Ahomadègbè au service du Bénin ? Se mettait sincèrement au travail pour améliorer notre présent et notre avenir ?