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(Par Roger Gbégnonvi)
Ce pourrait être l’ensemble de l’Afrique au sud du Sahara. Mais limitons-nous au Bénin, à portée de main, dont nous vérifions, chaque jour, la propension, sidérante, à faire croire qu’il avance, alors même qu’il s’enfonce et végète dans un sur-place un rien atavique. En deux temps, trois mesures, voici deux ou trois preuves de cet illusionnisme béninois.
A 30°c en moyenne à l’ombre l’année longue, toute matière molle et flasque est soumise à une putréfaction rapide et, parfois, nauséeuse. Par respect donc et considération pour les personnes aimées, nous les enterrions trois jours au plus tard après leur décès, pour qu’elles n’agacent pas les narines au point de laisser croire qu’elles n’étaient que ‘‘ça’’ quand elles vivaient et plastronnaient. Au tournant de 1970, la morgue, où séjournait le mort pour quelques heures, quitta l’hôpital et devint une entreprise juteuse aux mains de gens à l’affût du gain. Et depuis, vive le nécro-négoce. Le trépassé est déposé dans la glacière commerciale d’à côté, et l’on prend le temps – deux à trois mois, minimum – pour organiser bouffe et beuverie funéraires. Et l’on s’étonne beaucoup que les Français continuent de subir un Etat qui leur fait obligation d’enterrer le défunt au bout de six jours, maximum. C’est le double du maximum que la canicule nous permettait. Mais en 2016, au Bénin, enterrer le macchabée dans un délai de ‘‘seulement’’ six jours, c’est l’enterrer ‘‘comme un chien’’. Inadmissible !
Pendant très longtemps, il n’y a eu que la radio, le transistor, émettant quelques heures par jour. On écoutait, et on allait vaquer à autre chose. Est venu le temps de la télévision noir-et-blanc, quelques heures par jour. A la suite, presque sans préavis, la télé- couleur 24 h sur 24. Cinéma et distraction sans arrêt. On se goberge non-stop, au sens où la télé, en bonne place dans le salon, la case ou le bureau, est devenue l’horizon indépassable du savoir vivre, causer et travailler. Il y a quelques mois encore, elle était présente et allumée sans relâche dans le bureau du Ministre et dans ceux de ses collaborateurs haut gradés. Fascinant. Et pas étonnant qu’après le laisser-aller cathodique dans les ministères, le Bénin, abandonné à l’incurie, en soit à implorer une cure de rupture et de nouveau départ.
Il n’y avait que le téléphone fixe, luxe à la portée de quelques-uns, oracle vers qui on allait avec religion quand il avertissait qu’il avait un message pour quelqu’un dans la maison. Puis, tels des petits pains, est apparu le téléphone portable. Bavardages non-stop dans toutes les positions. Merci, Seigneur, pour le paradis de la parlotte. Le temps de ce merci, voici le smartphone, le phone intelligent, comme si l’autre ne l’était pas déjà à souhait. Mais il est vrai que le smart ajoute au verbiage illimité la possibilité d’échanges toniques, voire d’informations et – ô jouissance ! – des images de toutes sortes en temps réel. Télévision á la carte et dans la poche. Et depuis lors, dans la rue, au bureau, à la maison, à l’église, etc., on nous voit, le regard dardé sur le mini-écran dans une main, et l’index de l’autre main en train de faire des tracés cabalistiques, à même de nous apporter des mondes de turpitudes et de béatitudes. Et notre sourire, un rien béat, est celui d’un magicien satisfait de son art.
Sauf que nous sommes des magiciens sans pouvoir de création, des magiciens avec le seul pouvoir de consommer sans retenue tout ce que l’Occident créateur nous impose à coups de publicités aguichantes. Et nous voici heureux de nous servir des avancées techniques de l’Occident pour transformer le culte des morts en culture active de la mort, transformer le très triste analphabétisme en ‘‘analphabétisation’’, soit en culture active de l’analphabétisme. Vingt ans bientôt que le monde est entré dans le troisième millénaire. Le temps peut-être pour les Béninois de s’interroger sur leur propension à mettre le bien au service du mal, à mettre toute avancée technique au service d’un certain sur-place atavique.