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Par requête en date du 14 février 2012 Monsieur Nassirou ABDOULAYE, ayant pour Conseils Maîtres Zakari BABA BODY et Zakari Djibril SAMBAOU, a introduit devant la Haute Juridiction un recours pour détention arbitraire dans le cadre de l’information ouverte au sujet de l’assassinat du juge Séverin COOVI. La Cour vient de rendre sa décision. Elle condamne les juges pour violation des articles relatifs à la Charte africaine des droits de l’homme. Lire l’intégralité de la décision
DECISION DCC 12–158 DU 16 AOUT 2012
La Cour Constitutionnelle,
Saisie d’une requête du 14 février 2012 enregistrée à son Secrétariat le 22 février 2012 sous le numéro 0345/018/REC, par laquelle Monsieur Nassirou ABDOULAYE, ayant pour Conseils Maîtres Zakari BABA BODY et Zakari Djibril SAMBAOU, introduit devant la Haute Juridiction un recours pour détention arbitraire dans le cadre de l’information ouverte au sujet de l’assassinat du juge Séverin COOVI ;
VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;
VU la Loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour Constitutionnelle modifiée par la Loi du 31 mai 2001 ;
VU le Règlement Intérieur de la Cour Constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
CONTENU DU RECOURS
Considérant que le requérant expose que répondant à une convocation dans le cadre de l’information ouverte pour l’assassinat à Parakou du Magistrat Séverin COOVI, il a été arrêté le 12 novembre 2005 et présenté au Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Parakou le 15 novembre 2005 à 21h, puis au Juge d’instruction le 16 novembre 2005 aux environs de 4h 30 mn ; que sans notification d’aucun mandat de dépôt, il fut transféré à la Prison Civile de Natitingou le même jour à 8h et qu’à ce jour, il n’a jamais reçu notification de ce mandat ; qu’il affirme que de Natitingou, il fut transféré successivement à Kandi le 20 novembre 2005, à Parakou le 29 décembre 2005 puis à Abomey le 03 décembre 2006 où il est détenu dans des conditions arbitraires tant en termes de délai anormalement long de détention préventive qu’en termes d’actes de procédure irréguliers ; qu’il indique par ailleurs qu’en dehors des multiples demandes de mise en liberté rejetées, le dernier acte d’instruction (interrogatoire au fond) remonte au 03 août 2006, soit environ 6 ans… » ;
Considérant qu’il développe : « Aux termes de l’article 7.1.d) de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui est annexée et intégrée à la Constitution du 11 décembre 1990 : ‘’Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
d) le droit d’êtrejugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale...’’.
Ces dispositions d’ordre constitutionnel sont renforcées par l’article 9.3 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques aux termes duquel ‘’Tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autorité habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ...’’.
La notion du délai raisonnable s’entend de l’absence de retard excessif. En l’espèce, le requérant est détenu depuis novembre 2005, soit environ 7 ans et le dernier acte d’instruction (interrogatoire au fond) est intervenu le 03 août 2006. C’est dire que depuis bientôt 6 ans, il est en détention sans aucune justification. II y a donc lieu de dire que sa détention est arbitraire et injustifiée. » ; qu’il poursuit : « D’abord, il a été relevé que le requérant n’a jamais reçu notification d’un mandat de dépôt ; ce qui constitue une violation de ses droits. Ensuite, les multiples prorogations du mandat inexistant ont été irrégulières en ce qu’elles n’ont pas toujours respecté le délai légal. A titre d’exemple, si les ordonnances de prorogation de mandat de mai et novembre 2006 lui ont été régulièrement notifiées, il est constant que :
– il n’y a pas eu de prorogation en mai 2007,
– le 19 février 2008, il a été verbalement informé par le Régisseur que son mandat de dépôt a été renouvelé depuis novembre 2007,
– il n’y a pas eu de prorogation en mai 2008,
– jusqu’au 15 janvier 2011, le requérant n’a pas reçu le renouvellement de la prorogation échue au 15 novembre 2010. Il est manifeste que le renouvellement du mandat du requérant s’est souvent fait à titre de régularisation ; ce qui constitue une irrégularité et une violation de ses droits… » ; qu’il demande en conséquence à la Cour de dire qu’il est arbitrairement détenu à la prison civile d’Abomey ;
INSTRUCTION DU RECOURS
Considérant qu’en réponse à la mesure d’instruction diligentée par la Haute Juridiction, le Juge du 1er cabinet du Tribunal de Première Instance de Parakou, AboudouRamanou ALI, écrit : « Monsieur ABDOULAYE Nassirou, arrêté et présenté au juge d’instruction le 16 novembre 2005 a fait l’objet de l’établissement d’un procès-verbal d’interrogatoire de première comparution en date du 16 novembre 2005 qui, conformément aux articles 98, 107 alinéa 6, 116 et 69 alinéa 2 du Code de Procédure Pénale, contient des mentions relatives à l’identité de l’inculpé, à l’inculpation, aux déclarations de l’inculpé, au choix d’un conseil par l’inculpé et à la décision du juge sur la détention.
Ce procès-verbal d’interrogatoire de première comparution, soumis à la lecture de l’inculpé ABDOULAYE Nassirou, est recouvert de sa signature.
L’inculpé étant poursuivi avec mandat de dépôt, il est ensuite délivré un mandat de dépôt daté du même jour que l’agent d’exécution a présenté à la prison civile de Natitingou où le requérant a été écroué pour la première fois dans le cadre de la présente procédure.
Depuis lors, les renouvellements du mandat de dépôt de Monsieur ABDOULAYE Nassirou ont été effectués respectivement les 15 mai 2006, 14 novembre 2006 pour compter du 16 novembre 2006, 14 mai 2007 pour compter du 16 mai 2007, 13 novembre 2007 pour compter du 16novembre 2007, 13 mai 2008 pour compter du 16 mai 2008, 13 novembre 2008 pour compter du 16 novembre 2008, 14 mai 2009 pour compter du 16 mai 2009, 13 novembre 2009 pour compter du 16 novembre 2009, 12 mai 2010 pour compter du 16 mai 2010, 10 novembre 2010 pour compter du 16 novembre 2010, 16 mai 2011 pour compter du 16 mai 2011 et 10 novembre 2011 pour compter du 16 novembre 2011 .
Ces différentes ordonnances de prorogation de mandat de dépôt ont fait objet de notification par Officier de Police Judiciaire et ont été régulièrement classées au dossier de la procédure. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d’infirmer les allégations du requérant. » ; qu’il précise : « Les inculpés ont été interrogés au fond. Les témoins ont été entendus également. Néanmoins certains témoins attendent d’être écoutés de même que certaines allégations qui méritent d’être vérifiées attendent de l’être faute de moyens du fait que les inculpés dans le dossier de la procédure sont répartis en divers lieux de détention. Il faut aussi signaler que la poursuite des diligences est liée en partie à l’attente de la suite des recours exercés dans la procédure » ;
ANALYSE DU RECOURS
Considérant que les articles 6 et 7.1 d) de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples disposent respectivement : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement » ;
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :…
d) Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale » ;
Considérant qu’il résulte des éléments du dossier et en particulier de la réponse du Juge d’instruction du Tribunal de Première Instance de Parakou que Monsieur Nassirou ABDOULAYE a été inculpé et placé sous mandat de dépôt le 16 novembre 2005 ; que depuis lors, les actes posés dans le dossier sont l’interrogatoire au fond et différentes prorogations du mandat de dépôt ; que selon le requérant, le dernier acte d’instruction (interrogatoire au fond) est intervenu le 03 août 2006, ce que n’infirme pas le Juge qui a pris soin de ne pas préciser les dates des différentes auditions au fond comme cela a été le cas pour les ordonnances de prorogation ;
Considérant que la procédure enclenchée depuis novembre 2005 n’est pas encore terminée au 22 février 2012, date de saisine de la Haute Juridiction ; queles dysfonctionnements énumérés par le Juge ne sauraient l’exonérer de sa mission constitutionnelle de rendre la justice dans un délai raisonnable ; qu’il y a lieu de constater que le délai mis par le Juge pour instruire le dossier est anormalement long et constitue une violation de l’article 7.1 d) précité de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
Considérant par ailleursque selon l’article 114 in fine de la Constitution : « La Cour Constitutionnelle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » ;
Considérant que dans le domaine de la justice et particuliè-rement lorsqu’est en cause la liberté d’un citoyen, tout juge est tenu aux meilleures diligences pour faire aboutir toute procédure pénale dans un délai raisonnable ; que toute défaillance à cette obligation s’analyse comme une violation des prescriptions de l’article 35 de la Constitution aux termes duquel : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun » ; que, dès lors, il échet pour la Cour de dire et juger que le Juge d’instruction du premier cabinet du Tribunal de Première Instance de Parakou, et le cas échéant, tout juge l’ayant précédé sur ce dossier ont violé les dispositions de l’article 35 précité ;
D E C I D E :
Article 1er. – Il y a violation des articles 6 et 7.1 d) de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et donc de la Constitution.
Article 2.- Le Juge d’instruction du premier cabinet du Tribunal de Première Instance de Parakou, et le cas échéant, tout juge l’ayant précédé dans ce dossier ont violé l’article 35 de la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera notifiée à Monsieur Nassirou ABDOULAYE, à Monsieur le Juge d’instruction du premier cabinet du Tribunal de Première Instance de Parakou, à Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Parakou, à Monsieur le Président du Tribunal de Première Instance de Parakou et publiée au Journal Officiel.
Ont siégé à Cotonou, le seize aoûtdeux mille douze,
Monsieur Robert S.M. DOSSOU Président
Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA Vice-Présidente
Messieurs Bernard Dossou DEGBOE Membre
Théodore HOLO Membre
Madame Clémence YIMBERE DANSOU Membre
Le Rapporteur, Le Président,
Marcelline-C. GBEHA AFOUDA.- Robert DOSSOU.-
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