La proposition de loi relative au retrait du droit de grève aux magistrats, si elle venait à être adoptée, serait anticonstitutionnelle et constituerait un danger pour la démocratie béninoise. C’est l’avis du président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (UNAMAB), Michel Adjaka, qui n’est pas allé du dos de la cuillère pour dénoncer les incohérences de ladite proposition de loi. Dans cette interview, il donne sa lecture de la proposition de loi et suggère deux approches pouvant permettre à la corporation des magistrats d’exercer désormais sans le droit de grève.
Propos recueillis par Maryse ASSOGBADJO & Bertrand HOUANHO
Votre réaction par rapport à la proposition de loi qui vise à retirer le droit de grève aux magistrats actuellement sur la table des députés ?
Michel Adjaka : C’est une proposition de loi qui, non seulement est liberticide parce qu’en arrachant le droit de grève et la possibilité qui est donnée aux magistrats de se constituer en syndicat, fait reculer la démocratie au Bénin puisque c’est une liberté qui a été arrachée. Celle de dire non à certaines pratiques concernant le corps des magistrats. J’ai estimé qu’en privant les magistrats de droit de grève, on peut penser qu’on fait du mal à quelqu’un. Mais ça va se retourner contre nous tous parce que ne pouvant plus déplorer ou critiquer certains actes ou décisions du gouvernement, les magistrats seront comme des cadres soumis. De ce fait, nous n’aurons plus suffisamment de marge de manœuvre. Or, la seule institution dans les pays développés qui continue de dire non au gouvernement, c’est encore le pouvoir judiciaire. En dehors du caractère liberticide de la proposition de loi, il y a qu’elle viole les dispositions de l’article 31 de la Constitution béninoise. Lequel article consacre le droit de grève au profit de tous les agents permanents de l’Etat. Autrement dit qu’au Bénin, même un militaire peut avoir le droit de grève. L’innovation qu’on ne retrouve pas dans les textes des autres pays, c’est que le droit de grève n’est pas un droit collectif. C’est-à-dire qu’un individu peut se lever parce qu’il y a des griefs contre son employeur et se mettre en grève. Le droit de grève au Bénin peut être exercé collectivement comme il peut être exercé individuellement. Le législateur a la possibilité de réglementer les conditions d’exercice de ce droit. Ce qui ne veut pas dire que le législateur peut l’en interdire. C’est la confusion dans laquelle on veut emballer l’Assemblée nationale à qui on tente de faire croire qu’elle a le pouvoir de tout interdire. Si nous ne savons pas faire, on risque de voter un jour une loi visant à interdire aux magistrats de s’approcher de leurs femmes et de leurs enfants parce que lorsqu’on rentre dans les passe-droits, il n’y a plus de limite.
Vous avez dit que la proposition de loi qui est sur la table des députés violerait l’article 31 de la Constitution béninoise qui consacre le droit de grève à tout agent permanent de l’Etat. Mais avant la Magistrature, il y a les militaires, les paramilitaires, et d’autres catégories de fonctionnaires à qui ce droit est ôté. N’est-ce pas du deux poids, deux mesures ?
La loi sur le droit de grève telle qu’elle a été adoptée n’en donne pas les privilèges aux militaires, aux gendarmes et aux policiers. En 2013, ce droit a été arraché aux douaniers. Ce qui a permis aux députés de rattacher les douaniers aux corps paramilitaires. Puisqu’on voulait atteindre un objectif, on a forcé les balises législatives pour y parvenir sinon la Douane ne peut pas être considérée comme un corps paramilitaire. C’est déjà une violation du législateur en excluant certains corps du droit de grève. Le législateur a la possibilité d’indiquer les étapes à observer au cas où les douaniers souhaiteraient aller en grève. Mais il n’a pas le droit d’interdire le droit de grève à des agents de l’Etat. Le faire risque de porter atteinte à la démocratie béninoise. A cette allure ce droit finirait par être ôté à tous les agents de l’Etat. Et peut-être cela va se répercuter sur le secteur privé.Les travailleurs vont en grève pour porter des revendications. Quand nous allons en grève pour déplorer des situations, le gouvernement n’est jamais monté au créneau pour prendre le contre-pied. Cette manière de procéder n’est qu’un passage en force. C’est une violation de la Constitution.Il faut qu’il y ait la justice, pour servir de rempart et éviter que le marteau n’écrase l’enclume.
Quelle serait la réaction de l’UNAMAB si le texte finit quand même par être adopté ?
Ce n’est pas seulement une affaire de l’UNAMAB. C’est l’affaire de tous ceux qui sont épris de paix, de justice et de liberté. C’est un recul sur le terrain des libertés au Bénin. Dès lors qu’ils vont évoluer dans le processus du vote de ladite proposition de loi, nous prendrons nos dispositions. Ce qui est sûr déjà dans la maison on a pu publier la liste des 45 députés signataires de cette proposition de loi afin que tous les magistrats soient informés. Il y a quand même des dispositions que nous prenons à notre niveau pour qu’au moment venu, elles soient rendues publiques. Ce qui est une évidence, ils peuvent nous arracher tous les droits mais ils ne peuvent pas nous arracher le droit de les juger. C’est le droit le plus important. Tant qu’on a cette arme en main, on saura toujours rétablir l’équilibre.
Monsieur le président, le contenu de ladite proposition de loi ne compte-t-il pas des avantages pouvant favoriser le corps des magistrats ?
En matière de privation de liberté, il ne saurait y avoir un quelconque avantage. Certains aspects de l’article 18 de la loi n°2003-35 du 21 février 2003 portant statut de la magistrature figurent déjà dans les statuts et règlements intérieurs de notre corporation. Ce que veulent les députés va bien au-delà. En dehors de la volonté de nuire, quel péché avons-nous commis en prenant les décisions que nous exige notre serment ? A cette allure, le corps de la magistrature risque de disparaître un jour. Si tous les magistrats se mettent d’accord pour enfreindre à cette disposition, c’est que nous serons tous mis à l’écart du corps de la magistrature et le Bénin se retrouvera sans magistrat. Mais, il faut qu’on en arrive à ce niveau pour faire comprendre aux gens que tous ne travaillent pas pour le bonheur du peuple, qu’ils prétendent sauver. Sinon, pourquoi ne pas empêcher peut-être les magistrats d’aller en grève lorsqu’ils déposent une motion en réglant rapidement les problèmes ou de prioriser le dialogue ? Nous avons donné un moratoire, mais rien n’a changé jusque-là. Pis, on veut nous arracher le droit de grève. A cette allure, les piliers de l’Etat risquent d’être brisés. Si les pouvoirs publics épousent nos deux propositions qui constituent à disposer d’un Conseil supérieur de la magistrature (CSM), sans l’exécutif et à trouver un mécanisme pouvant financer les juridictions, les magistrats n’auront plus de raisons d’aller en grève. Ces deux mesures permettront au pouvoir judiciaire de jouir d’une indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et de lui permettre de disposer d’un budget autonome au même titre que les pouvoirs exécutif et législatif.
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24 juin 2014 par Judicaël ZOHOUN