​Déjà l’on aperçoit leurs ombres derrière le rideau de notre misère. Ils s’attroupent : 1, 2, 3… Ils seront bientôt 10, 15, 20…, nos candidats à la présidentielle de 2016. La bouche en cœur, ils nous promettront en chœur de renforcer l’unité nationale et de promouvoir le développement. Comme les germes de la nation se dispersent encore et encore et que ceux du développement nous fuient encore et encore, ils savent bien qu’autant en emporte le vent et qu’ils n’auront rien à renforcer ni à promouvoir. Actualité ténébreuse oblige, quelque candidat ajoutera à la longue liste des grandes promesses celle de résoudre sans délai et définitivement la crise énergétique. Il achètera au Japon l’une de ses centrales nucléaires à l’arrêt depuis la tragédie de Fukushima et l’installera à Maria-Gléta où il n’y a plus grand-chose qui tourne. Applaudissements frénétiques dans nos rangs pendant que l’Ambassadeur du Japon près le Bénin vire du jaune pâle au rouge écarlate á l’idée qu’il a dû commettre involontairement une grave faute diplomatique pour qu’un lettré béninois en arrive là.

​Nous dansons et danserons énormément autour de nos chers candidats pour mériter sandwiches et cocas qu’ils jetteront sur nous, emballés dans des sachets plastiques, et aussi pour accueillir les petites coupures de banque qui pleuvent de leurs mains thaumaturgiques dès qu’il y a campagne électorale. Et c’est dommage que ce ne soit pas le cas tous les jours que Dieu a faits afin que, au 31 décembre, ils aient payé chèrement pour l’achat de nos consciences. Dans la nuit de la Saint-Sylvestre, grâce à la pitance abondamment arrosée à l’alcool local en l’honneur de l’année nouvelle, chacun de nous apprêtera une conscience repassée à leur revendre pendant 365 jours. Ainsi, faute de nation et de développement, la vente non-stop de nos consciences à nos chers candidats nous fournira, en tout temps, l’argent pour les cacahuètes permanentes et pour les deux ou trois poissons épisodiques.

​Perspective heureuse malheureusement inaccessible parce que toujours et toujours la Cour Constitutionnelle arrête les enchères et décide d’élire à la Présidence de la République l’un de nos chers candidats. L’élu console les non élus en les plaçant, eux et leurs proches, à des postes subalternes viandés pendant que lui-même se vautre dans le farniente au sommet de l’Etat avec un désir obstiné de ne plus s’extirper de là tellement il s’y sent à son aise. Et le peuple, aspirant aux cacahuètes et à deux ou trois poissons, se voit obligé de recommencer la sarabande tous les cinq ans avec en sus, parfois, un refus obstiné de voir sa bananière république transmuée en cocasse monarchie pour nègre roitelet emplumé.

​De l’extérieur de la fangeuse bananeraie, on croit que nous dansons le zouk dont la caractéristique est de scotcher si fort le couple que, tout le long de la chanson, elle-même agglutinante à souhait, nos deux danseurs ne bougent pas d’un pouce. Or nous ne dansons pas en couple mais en foule. Non pas le zouk mais notre bonne vieille danse-à-reculons. Nos dirigeants et nos chers candidats nous font face et battent tam-tam. Rythmiques, nous balançons á gauche, nous balançons à droite. Les batteurs avancent et nous reculons. Non pas vers le sud, à cause de l’obstacle de la mer, non pas vers le centre ou le nord, à cause de l’obstacle des collines et de la chaîne de l’Atakora, mais vers l’est, paradoxal orient béninois car, face à notre ouest, point de soleil naissant mais un trou absorbant où nous sombrons sans cesse. Nos dirigeants et nos chers candidats nous y poussent et s’en balancent parce qu’ils espèrent ainsi finir par imposer leur raison au peuple, lui faire comprendre que, pour avoir cacahuètes et poissons, il doit désavouer syndicalistes brandissant droits de l’homme, activiste avec deux balles criminelles près du cerveau, et tout plumitif adepte de l’insolence.

​Et si soudain le peuple s’arrêtait de reculer, stoppait net la sarabande et, comme le Chef de l’Etat, bondissait sur dirigeants et candidats, pour sonner la fin de la misère ?