Le 28 février dernier, le président béninois a prononcé un discours d’apaisement dans un contexte sociopolitique tendu comme un arc. Si certains points du discours méritent d’être salués au regard des exigences de la bonne gouvernance, la chute, en revanche, se révèle être un très peu subtil exercice d’enfumagedans lequel le président s’est livré à des déclarations hasardeuses...
A l’actif du président béninois, on retiendra une volonté d’ouverture, réelle ou feinte, qui faisait tant défaut à la gouvernance dans ce pays, depuis quelques années.
Yayi-le-bondisseur avait accoutumé ses compatriotes à des discours et agissements musclés, où des propos de velours auraient accoisé bien des esprits échauffés.
Cette situation a du reste conduit nombre de ses compatriotes à l’accuser d’avoir emprunté tout son attirail de gouvernance au défunt président togolais, aux usages démocratiques passablement laids.
Dans son discours du 28 février, le chef de l’Etat béninois semble s’être débarrassé de ses vieux démons, notamment en faisant un pas de sage en direction des irréductibles syndicalistes qui semblent avoir juré sa perte ; il a aussi appelé de ses vœux l’organisation d’un dialogue politique dont les contours restent à définir. On retiendra que ledit dialogue est censé "être au cœur d’un ensemble de pactes stratégiques" (le vocable est à la mode) "faits de partenariats noués dans un esprit patriotique et de responsabilité."
Que d’assaut de bonne volonté, il était temps.
Contrevérités
Mais on peut s’interroger sur la sincérité du discours du chef de l’Etat béninois, notamment dans les dernières minutes consacrées à la liberté, dans lesquelles il convient bien de dire qu’il a pris quelques libertés avec la vérité.
Quand Yayi Boni cite le dernier rapport Freedom House sur les libertés dans le monde, il lui fait dire ce qui n’y est pas et commet une double bourde.
D’abord, en le présentant comme une publication du département d’Etat américain, alors que ce document, à l’instar de nombreux autres rapports sur l’état de l’économie, de la liberté de presse, du respect des droits de l’homme et j’en passe, est compilé par une ONG qui se veut précisément indépendante et apolitique et n’entretient par conséquent aucun lien organique avec le département d’Etat.
Où Yayi Boni a berné son monde, c’est en faisant dire à ce rapport ce qu’il ne dit surtout pas. "Notre pays y est cité dans le pré-carré des pays reconnus pour leur liberté", l’a-t-on entendu claironner.
Le pré-carré est synonyme de domaine réservé et il est vrai que sur la liste des huit pays africains considérés comme libres, figure le Bénin. En revanche, Yayi Boni omet de noter que le même rapport souligne une certaine régression des libertés dans son pays.
Le rapport de Freedom House note en effet que "le Bénin, noté pays libre et longtemps resté l’un des meilleurs élèves de la région, a reçu une flèche de tendance à la baisse pour tenir compte des efforts croissants de l’exécutif pour consolider son pouvoir, comme en témoignent le maintien en détention des prétendus auteurs de coup, en dépit de leur disculpation par un juge, le placement en résidence surveillée dudit juge, ainsi que l’interdiction à caractère politique de plusieurs manifestations et protestations au cours de l’année."
Il s’ensuit que si le Bénin est resté dans le fameux pré-carré des pays libres d’Afrique, c’est moins grâce à l’actuel président, dont les agissements sont au contraire dénoncés dans le rapport, que grâce aux acquis de la conférence nationale jusqu’ici chèrement préservés par les prédécesseurs d’un certain… Boni Yayi.
Sur ce coup, le président-lion-bondisseur a réussi l’exploit de sauter à bras raccourcis sur des pans entiers de vérité. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il n’y soit pour rien...
Plus inquiétante est sa phrase sur une publication de l’OFPRA présentant le Bénin comme "l’un des dix-huit pays les plus sûrs du monde."
Voici, in extenso, la déclaration du président :
"Je vous renvoie aux publications de 2013 de l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) dans lequel (sic) le Bénin apparaît parmi les 18 Etats les plus sûrs du monde."
Afrika 7 a consulté lesdites publications qui, elles aussi, disent tout, sauf ce que le président béninois veut bien leur faire dire.
En fait, il s’agit, on s’en doute, d’une liste de pays considérés comme sûrs au regard de procédures de demandes d’asile et dont les ressortissants ne peuvent donc pas se prévaloir de raisons classiques liées à la persécution pour demander le droit d’asile en France.
En d’autres termes, comme le précise l’OFPRA, "les demandeurs d’asile, ressortissants des Etats figurant sur cette liste, ne peuvent bénéficier d’une admission au séjour au titre de l’asile."
Il ne s’agit donc pas, au regard de l’OFPRA, de la liste des 18 Etats les plus sûrs du monde, contrairement aux prétentions du président béninois.
Mais puisque le président aime tant les rapports, nous en avons consulté quelques-uns, à tout hasard…
Dans l’indice pilote 2000 du Democracy Ranking (mis au point par Global Democracy), le Bénin était classé 53e ; dans le rapport 2013, il était classé 85e ; en 2006, lors de l’accession de Yayi Boni à la magistrature suprême, le Bénin était classé 23e dans l’indice RSF de de la liberté de la presse, juste derrière …l’Allemagne.
Aujourd’hui, il est classé 79e, juste derrière le Congo (76e), le Koweït (77e) et le Nicaragua (78e).
La dictature du développement est passée par là…
Ces chiffres-là, Yayi Boni les a soigneusement ignorés dans son discours du 28 février…
Posté par Kevin Quenum/ Afrika 7
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3 mars 2014 par Judicaël ZOHOUN