1432 visiteurs en ce moment
En ces temps où les jeunes générations afro descendantes expriment ce besoin vital de se reconnecter avec la mémoire de leurs ancêtres méritants, à l’approche de l’anniversaire de son passage dans l’ombre qui s’éclaire un 22 septembre, et bientôt le 40e en 2025, le souvenir de la légende de Nicolas Kasanda wa Mikalay dit docteur Nico s’éveille à notre quotidien. Que transmettre aux générations montantes pour leur inspiration ?
Comment évoquer, renouer avec une figure dont on n’a pas été vraiment témoin de son soleil ? Car les gens de notre génération nés à la veille ou à l’aube des indépendances comme nous avons l’habitude de nous exprimer, nous disons souvent de certains faits « nous les avons trouvés, découverts, entendus en naissant. » « Djo mi djo wa mon, wa sé » en langue goungbé/fongbé. Ainsi en est-il du tube « Indépendance Cha cha « improvisé » en Juin 1960 à Bruxelles par l’African Jazz sous la direction de Grand Kallé, tube qui a accompagné l’indépendance du Congo avec le grand Patrice Lumumba, mais aussi les indépendances des autres nations africaines qui vont lui emboîter le pas. C’est donc à travers la mémoire de nos aînés, pères, mères, tantes, oncles que nous avons pu nous approprier quelque peu ce que représente l’apport de la génération des artistes musiciens partis un peu tôt à l’aube ou au midi de leurs œuvres à l’édification d’une identité culturelle transnationale, transfrontière en Afrique.
Et ils sont nombreux ces artistes tels Nico Kasanda, le grand accompagnateur Charles Mwamba dit Déchaud, Joseph Kabasele dit Grand Kallé, Franco Luambo, Ntesa Dalienst, Franklin Boukaka, Boubacar Demba Camara, Bella Bellow, Abeti Masikini, Lucie Eyenga, Kambeta André alias Damoiseau, le soliste remarquable du tube primé BB 69 d’African Jazz en 1969 … j’en oublie... Dire que nos enfances, nos adolescences, bref nos vies ne se sont pas abreuvées de ces sources qui coulaient bien avant nos éveils serait faire une entorse à la vérité. Nous nous en sommes nourris à bien des égards ; certes à travers les témoignages et les prismes de nos aînés mais aussi en communion directe ou indirecte avec eux. Je me rappelle cette fièvre d’initiation à la guitare ou de sa maîtrise qui animait nos jeunes oncles des lycées et collèges, des ateliers, des chantiers d’apprentissage, des champs, de leurs engouements et déterminations à reproduire ces notes aux variations envoûtantes, inspirantes etc. Sur un autre registre combien de parents n’ont pas doté leurs filles de prénoms tels Angèle, Angéline, Chantal, Brigitte, Jaria, Delia etc sous l’inspiration des tubes musicaux éponymes ?
Je me souviens qu’enfant, ma mère ou l’une ou l’autre de nos mères m’envoyait souvent certains dimanches matin au retour de la messe, acheter un kilo de riz auprès d’une commerçante des environs de notre quartier. Nous habitions à l’époque dans ce pittoresque quartier de la gare ferroviaire. Bien des fois, comme un rituel, la musique Kiri Kiri de l’orchestre African Fiesta s’élevant de la demeure en face de la maison de la commerçante de riz enveloppait, égayait de ses notes l’atmosphère au-dessus de cette zone boisée de Atinkanmè ainsi nommée. Je tissais un lien imaginaire, cependant bien réel dans ma conscience, entre le riz que je venais acquérir et la musique Kiri Kiri. Et spontanément j’ouvrais le portail de la commerçante en fredonnant ce que je parvenais à reproduire des paroles chantées dans une langue que je ne parlais pas.
Bien des années plus tard, une douzaine environ, en année de baccalauréat, il fut une période où, au sortir du lycée, il m’arrivait de tourner le dos à la route menant à notre demeure pour cheminer à vélo avec une lycéenne qui m’inspirait plus que de la sympathie.
Elle habitait en direction du lac mais elle empruntait quelquefois la route menant vers Atinkanmè pour j’en suis certain rendre visite à une de ses tantes qui habiterait dans les environs, - c’est du moins ce qu’il me seyait de penser- bien qu’elle avançât de façon récurrente, d’un ton enjoué, un autre motif qui la porterait vers cette destination. Mais c’est là une autre histoire.
Dans notre cheminement, nous passions dans cette ruelle du riz et de kiri kiri. Un jour elle me dit à ma grande surprise : « toi là chaque fois que nous passons ici tu te mets à siffloter le même air musical ». Ses mots me révélaient un état d’esprit dont je n’avais pas conscience, en tout cas pas une conscience nette, la conscience brouillée, éthérée, portée aux anges par son charme de jeune femme en fleurs marchant à mes côtés pendant que je pédalais doucement d’un pied, l’autre traînant au sol. Ma mémoire inconsciemment partageait avec elle des réminiscences de ces dimanches lointains sous les notes du Dr Nico. Passés les maisons riz et Kiri Kiri nous longions un peu plus loin les arbres de Atinkanmè ; le souffle de la bise à travers les feuillages m’envoyait au visage la fragrance naturelle de son corps mêlée aux effluves de son eau de toilette.
Arrivés dans ces environs je savais qu’elle ne tarderait pas à me demander de cesser de l’accompagner et de m’en retourner. Une cinquantaine de mètres plus loin, je recevais cette demande, une injonction à laquelle je me pliais après quelques minutes de conciliabule autour du même sujet. Mais à partir du jour où elle me fit remarquer que je sifflotais Kiri Kiri, j’accompagnais notre rituel de séparation en fredonnant, parodiant quelques mots d’une chanson bien connue d’African Fiesta servie par les notes romantiques de la guitare de Dr Nico. « tu m’as déçu chouchou, tu me déçois chouchou … vraiment je suis touché partout, mon cœur . .. ». Ce jeu déclenchait chez elle un sourire plus qu’enchanté qui se muait en rires lorsqu’elle me disait : « maintenant que tu as fini de chanter rend moi ma main, et retourne toi, je dois partir … » Je relâchais non sans regret sa main que je tenais, que je gardais en vérité depuis quelques instants en guise d’au revoir en lui imprimant de légers balancements de gauche à droite. J’enfourchais alors mon vélo sous son regard attendri et opérais un demi-tour en sifflotant Nakeyi Abidjan ou limbisa ngai.
Je pourrais évoquer de multiples souvenirs d’empreintes dont les notes de la guitare de Dr Nico ont enchanté ces années lointaines mais je pense qu’il serait plus indiqué de laisser le soin à des témoins plus édifiés de nous entretenir de la légende de Dr Nico et des collègues de son temps, la musique étant le temple par excellence du partage, de la collégialité. On sait par exemple la contribution de Charles Mwamba wa Kambaba dit Déchaud Mongala et de tant d’autres plus connus à la grandeur de Dr Nico au sein de l’orchestre African Fiesta qu’ils ont formé quelques années après leur départ en groupe d’African Jazz en 1963.
Comme l’écrivait si bien l’auteur haïtien Jacques Roumain, dans Gouverneurs de la rosée, « Oh, sûr, qu’un jour tout homme s’en va en terre, mais la vie elle-même, c’est un fil qui ne se casse pas, qui ne se perd pas tu sais pourquoi ? Parce que chaque nègre pendant son existence y fait un noeud : c’est le travail qu’il a accompli et c’est ça qui rend la vie vivante dans les siècles des siècles : l’utilité de l’homme sur la terre. »
G. Théophile Nouatin
https://www.musicinafrica.net/fr/magazine/hommage-docteur-nico-kasanda-eternelle-icone-et-genie-de-la-musique-congolaise
Indépendances Chacha et suites …
https://youtu.be/t20zK61F51I