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(Par Roger Gbégnonvi)
L’adage au Bénin dit qu’il est moult services qu’un nain peut rendre à un colosse. Ce pût être le cas des échanges entre gens du livre et gens sans écriture. Mais chez ceux-là, l’idée-mythe s’écrit, se solidifie, s’exporte au loin et s’impose. Alors que chez ceux-ci, l’idée-mythe s’étale à domicile, incapable de s’exporter et de s’imposer ailleurs que chez soi.
Il en est ainsi de la grande idée-mythe du péché originel. On en connaît la version biblique, écrite et baptisée crânement parole de Dieu. En voici la version non écrite chez les gens sans écriture de l’aire adja-tado (Bénin-Togo). Au commencement, le firmament était si proche de la terre que Dieu et les hommes vivaient en parfaite convivialité. Mais il y eut une femme indélicate qui, après avoir lavé son linge, jetait l’eau sale contre les parois du firmament. Elle était entêtée, et aucune admonestation ne put l’arrêter. Fâché, Dieu s’éloigna très loin au-dessus de la terre, dans son habitacle, le firmament. Depuis lors, Dieu n’habite plus avec les hommes. Et le désir de sa présence hante et perturbe leur cœur.
Convergence de fond et différences de forme entre l’idée-mythe écrite exportée et celle non écrite restée à domicile. On rappellera qu’aucune des deux ne fonde la civilisation ni ne suscite le manque, mais que toutes deux sont créées de toutes pièces pour justifier une civilisation déjà existante, et pour créer la curieuse nostalgie d’un monde qui n’a jamais existé, mais dont l’existence délesterait l’homme du fardeau des énigmes de son existence.
En l’occurrence, les deux idées-mythes justifient l’humiliation de toujours imposée par l’homme à la femme, décrétée par lui coupable du mal-être humain sur la terre. Mais au fond de lui-même, l’homme souffre d’être le tortionnaire de sa compagne, sans pour autant arriver à se retenir de la couvrir de coups et blessures, de l’exciser et de l’infibuler, de la voiler comme une maladie honteuse, de la cloitrer dans des ‘‘maisons pour femmes battues’’ si elle n’a plus où aller quand son compagnon l’a défenestrée. L’homme est malheureux du malheur qu’il impose à sa compagne. Aussi, pour continuer la besogne malgré la triste conscience qu’il en a, lui faut-il le sceau de Dieu en plus de celui de l’écriture, ce qui ne fait guère problème, puisqu’il est à la fois celui qui écrit les textes et qui crée les idées-mythes.
Lorsqu’à la misère permanente imposée par l’homme à sa compagne on ajoute les misères de l’intolérance appelées guerres, persécutions, Al-Qaida, Boko-Haram, etc., et que viennent par-dessus les misères de la nature appelées épidémie, sécheresse, inondation, tremblement de terre, etc., cela fait beaucoup. D’où le désir compensateur d’un Monde- Beau-et-Bon, un ‘‘Paradis perdu’’, mais que nous retrouverons quand nous aura engloutis la terre, devenue ‘‘vallée des larmes’’ depuis la colère de Dieu. Et l’homme et la femme disent que Dieu ramènera le Paradis pour la fin des larmes. Ils soignent la nostalgie du monde qui n’a pas existé. Ils veulent sa restauration pour l’éternité. Ils ont le soutien de Pascal et Lamartine. Pour l’un, ‘‘Toutes nos misères sont celles d’un grand seigneur déchu’’. pour l’autre, ‘‘L’homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux.’’ Et il y retournera, pardi !
Mais ni déchus ni tombés, nous sommes simple accident de l’univers, jeté là par hasard, entre deux néants. Pour donner sens à notre existence aléatoire, intimement conscients de notre finitude implacable, nous semons la violence, ivraie facile à semer. Tragiques et tristes, nous faisons de Dieu le consolateur des malheurs présents que nous semons et subissons, et le dispensateur du bonheur éternel à venir dont nous osons rêver.
En vérité, si péché originel il y a, il faut le chercher dans notre conscience malheureuse et du côté de ‘‘la raison du plus fort’’, qui n’est pas ‘‘toujours la meilleure’’, comme le prétend La Fontaine, mais celle qui réussit toujours à s’imposer à tous par la force.