(Par Roger Gbégnonvi)
Au bout de sa folle aventure de ‘‘ver de terre amoureux d’une étoile’’, le héros romantique de Victor Hugo se retira de l’existence après avoir constaté dans un dernier moment de lucidité que ‘‘C’est fini. Rêve éteint ! Visions disparues !’’ A la vérité, Ruy Blas, égaré et traître, n’avait pas d’autre choix que de s’infliger la punition suprême : laquais, il s’était épris de la reine d’Espagne sous un déguisement de seigneur. Si la nation béninoise est cette reine de grandeur, l’on voit qui doit s’en aller maintenant pour l’avoir avilie. Que le peuple béninois ait décidé de respecter la constitution et d’attendre le 6 avril 2016, c’est son choix. Mais que lui, par respect pour le peuple, s’en aille maintenant, c’est son devoir.
Parce que, moralement, il a perdu. Trop de cadavres dans son placard. Cadavres connus, que l’on pourrait à nouveau nommément citer. Cadavres inconnus, du fait d’une gouvernance à l’aveuglette, avec ses graves conséquences pour les familles, les travailleurs, les jeunes. Conséquences allant parfois jusqu’à la mort physique. Oui, dans la terrible affaire ICC-Services, il y a eu des morts par suicide et par crise cardiaque : après les avoir vus s’afficher à la télévision nationale aux côtés de leur président, de nombreux Béninois ont confié leurs économies à des escrocs à la Madoff. Celui qui a reçu mandat de protéger et qui a laissé commettre sans jugement ni sanction ces crimes de sang et ses crimes économiques, ne sert plus qu’à faire souffrir les Béninois. Il faut qu’il s’en aille maintenant.
Parce que, politiquement, il a échoué. Incapable d’organiser les élections à bonne date. Capable seulement d’envoyer devant la Haute Cour de Justice ses ministres enclins à suivre ses consignes irrationnelles, d’envoyer en prison les hauts fonctionnaires nommés par lui pour leur propension à le servir et à se servir par ricochet. Nuance : ne sont jetés en prison que les fonctionnaires fautifs appartenant à une ethnie ou à une région données, les autres retournent chez eux, en famille, sans l’ombre d’une sanction. Car l’homme qui a reçu mandat d’unir la nation béninoise s’est acharné à la diviser. Et ce n’est pas un hasard si les Béninois aujourd’hui en exil proviennent tous de l’ethnie et de la région qu’il n’aime pas. Cet homme, désigné pour élargir l’entente et qui sème la zizanie, ne peut pas rester un instant de plus, sinon les enfants le reprocheront à leurs parents. Il faut qu’il s’en aille maintenant.
Parce que, socialement, il n’est plus fréquentable. Les chefs d’Etat africains le tiennent désormais à l’écart dans leurs réunions : il n’y a plus grand-monde pour se montrer avec lui ou l’inviter chez soi. Chez lui, à l’interne, il s’impose volontiers dans les obsèques, insistant pour présenter lui-même les condoléances par-ci et par-là. Il sillonne le pays en hélicoptère pour ne pas voir sur la terre l’état désastreux des voies, pour ne pas voir quel mal ses concitoyens ont à vivre. Et ses concitoyens le lui rendent bien : à la vue de son image imposée par les chaînes de télévision qu’il a caporalisées, la plupart zappent, ils cherchent pour trouver mieux ailleurs. Cet homme, élu triomphalement en 2006 et qui a perdu tout crédit en 2014, doit s’en aller sans attendre. Il faut qu’il s’en aille maintenant.
Ruy Blas, égaré et traître à son devoir de serviteur, doit s’en aller maintenant. S’en aller sans attendre l’incendie du Parlement. Nul n’y mettra le feu, car c’est la propriété des Gouverneurs coloniaux. S’en aller sans attendre l’incendie du Palais de la République. Nul n’y mettra le feu, car c’est la propriété du peuple, située en outre face à un mouroir, et nul n’a le ‘‘noir désir’’ d’ajouter la braise à l’agonie des malades qui meurent au lieu d’être soignés et guéris, parce qu’une gouvernance à l’aveuglette a décidé qu’ils souffrent et meurent.
Il n’est pas ici demandé à l’homme qui a trahi tous ses devoirs de dégager, mais simplement de s’en aller pour que l’horizon soit dégagé. Qu’il s’en aille maintenant !
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9 décembre 2014 par Judicaël ZOHOUN