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(Par Roger Gbégnonvi)
Les Français ressemblent aux Béninois. Chez ceux-ci, à la veille d’une élection présidentielle, les candidats en panne de crédibilité tentent d’embraser la galerie avec la carte de l’ethnie. Depuis l’élection de 2006, les Béninois ont rejeté la manie réductrice. Mais les Français y sont demeurés. A l’approche de 2017, en mal de programme crédible pour juguler le chômage et l’insécurité, certains candidats n’ont que le repli identitaire offrir aux Français. Identité nationale par-ci. Nos ancêtres les Gaulois par là. Ignorance partout.
Car ce qui frappe à l’énoncé de cet idéal de porc-épic, c’est l’ignorance grave des candidats qui osent le brandir, la même ignorance qui pousse le policier français à demander au Béninois débarquant à Roissy-Charles-de-Gaulle, où il a appris à parler si bien le français. Ce flic ne sait pas, hélas, que la France s’est emparée du Bénin depuis 1894 et n’a fait que s’y incruster, même et surtout après lui avoir octroyé une fallacieuse indépendance en 1960. Si l’on pardonne au flic son ignorance, pardonnera-t-on aux dirigeants français la leur ? Ils ne savent donc pas que les vieux Béninois, à qui le colon a donné un tout petit accès à l’école, y ont appris, à coups de chicote, ‘‘nos ancêtres les Gaulois’’, et que la Marseillaise fut jusqu’au 31 juillet 1960 leur hymne national en même temps que celui de leurs enfants et petits-enfants ? Certes, on n’en est plus aujourd’hui à la lettre. Mais l’esprit reste, et il est fort.
Car, Béraud, Brun, Fourn, Grimaud, Loubet, Olivier de Montaguerre, Poisson, Talon…, voilà des familles tout à fait de Ouidah, et qui sont donc béninoises. Françaises aussi. Il y eût peut-être à Ouidah des Sarkozy et des Le Pen, si Nicolas et Marine n’étaient des Français de fraîche date et à courte vue. Avec les familles ci-dessus et sans elles, en esprit et en vérité, les ancêtres béninois sont gaulois quelque part. En appui à cette thèse, qui est tout sauf hérétique, on notera que l’évangile à eux apporté par les missionnaires français fut celui du catholicisme tel que pratiqué en France au XIXème siècle. Vatican II a beau avoir fait le ménage, à Ouidah, Abomey, Porto-Novo et ailleurs, le catholicisme béninois reste, dans les cœurs, celui du XIXème siècle français. Du point de vue catholique donc, leurs ancêtres sont gaulois. Montant au XVIIIème siècle, on observe que, aujourd’hui, au Bénin, un lettré aux idées dérangeantes est appelé Voltaire par les autres lettrés. Avec mépris ou admiration, selon que l’on est du côté de la résignation ou de la révolution. Dira-t-on que les lettrés béninois n’ont pas les mêmes ancêtres gaulois que Voltaire ? Descendant au XXème siècle, on se souvient du vénérable Fiossi Nudòzánmê. Grand vieillard sec et sans âge. Héros méconnu de la guerre 14-18. Mémoire bégayante. Mais il se rappelle qu’un ‘‘aumônier militaire en fuite m’a baptisé’’ alors que, tirailleur, frôlé par un obus allemand, ‘‘j’agonisais dans un trou. Ce baptême français m’a ressuscité’’. Malgré le flou dans sa tête, quand il entend France, il tressaille : ‘’Ça, c’est un pays !’’, s’exclame-t-il, avant de reprocher au Bénin, sa patrie, de ne pas en faire assez pour ‘‘égaler la France, notre sœur’’. Fan du football à la télé avant la totale cécité, il revendiquait les mêmes ancêtres gaulois que Michel Platini, dont il ignorait les origines italiennes. Revenu à Ouidah après le miracle du baptême dans les tranchées, il retrouva avec jubilation le syncrétisme ambiant, le Vaudou et les fumigations. Mais, grosso modo, ses ancêtres étaient gaulois. Comme ceux des Ouidaniers. Au fond des cœurs.
L’on demande donc aux flics de Roissy et aux dirigeants politiques de France de savoir raison garder. L’empire anglo-saxon stagne. L’empire du Milieu prend son envol. L’empire Français a expiré au Vietnam et en Algérie. Ce n’est pas une raison pour que les flics et les politiques fassent de ce qu’il en reste une peau de chagrin. De la hauteur, de grâce, pour laisser la France être aimée de ceux qui, de par le monde, la considèrent comme leur sœur.