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(Par Roger Gbégnonvi)
Depuis trop longtemps, Juif et Noir subissent le mépris quasi universel, sans que l’on puisse en établir l’exacte généalogie. On peut tout simplement espérer que ne soit pas éternel le malheur d’être Juif ou Noir. Avant qu’on ne finisse par l’accuser d’avoir assassiné Dieu (rien que ça !), le peuple juif était déjà tellement pourchassé que la diaspora (dispersion) était devenue son mode normal de vie. Avant même de le présenter au monde comme l’enfant maudit de Cham, prédestiné à être esclavagisé, colonisé, ségrégué, on disait le peuple noir laid par nature, ce qui poussa la dame du Cantique des Cantiques à une mise au point plaintive : ‘‘Je suis noire et pourtant belle.’’ Bien plus tard, Malcom X, descendant d’esclaves, rejeta le plaintif ‘‘et pourtant’’, et proclama le triomphant ‘‘Black is beautiful’’.
Car le Nègre lettré proteste contre les détracteurs du peuple noir, et cela produit des sons pas toujours de toute limpidité. Senghor : ‘‘Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ?...Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur.’’ L’intention du coryphée de la Négritude est sans doute bonne, mais son propos revient à faire du peuple noir un vaste repos du guerrier, l’amuseur permanent des peuples conquérants. Comme s’il cautionnait à l’avance Nicolas Sarkozy déclarant à Dakar que ‘‘l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire’’. Et il est vrai qu’y être entré à la Senghor, pour l’amusement des conquistadors, c’est y être comme serpillière. Mais le Français Sarkozy savait-il qu’en louchant sur le Sénégalais Senghor, il renvoyait à l’Allemand Hegel ? ‘‘Ce que nous comprenons en somme sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle.’’ Sarkozy aura donc récité un cours hégélien de l’anti-négrisme européen. Aimé Césaire, descendant d’esclaves : ‘‘Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselles, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte…’’ Autodérision, certes. En substituant ‘‘vous’’ à ‘‘nous’’, esclavagistes, colonialistes, coursiers de l’apartheid, s’y retrouvent sans dérision et en toute bonne conscience. Et puis, comment ne pas subodorer que, sous couvert d’autodérision, Aimé Césaire règle ses comptes avec les lâches qui ont vendu les siens et ne s’en sont jamais repentis ! Laissant de côté la conscience, Frantz Fanon, descendant d’esclaves et médecin psychiatre, fait une incursion dans l’inconscient du peuple noir et s’aperçoit que ‘‘Le Noir veut être comme le Blanc. Pour le Noir, il n’y a qu’un destin. Et il est blanc’’. Il n’avait pourtant pas vu (ce n’était pas encore la mode) la femme béninoise appliquée à gommer la noire couleur de sa peau et à se faire des tresses longues et blondes à souhait. Car à l’heure des onguents éclaircissants et du blanchiment non passible du tribunal, Bernard Dadié se retrouve un peu ringard à murmurer dans son oratoire : ‘‘Je vous remercie mon Dieu, de m’avoir créé Noir’’. On se demande d’ailleurs si lui et Malcom X, ce n’est pas le tigre hurlant sa tigritude, quand le cœur n’y est plus, quand la foi n’y est plus.
Toujours est-il que le Nègre a mal à son être-noir. A force que l’autre l’accuse de ce qu’il est, il s’accuse lui-même de ce qu’il est. Normal, mais c’est grave. La solution ? Aimé Césaire dit : ‘‘Il faut en demander aux nègres plus qu’aux autres : plus de travail, plus de foi, plus d’enthousiasme’’. Un effort constant pour conquérir la dignité de soi, pour se respecter soi et respecter l’autre. Et le monde cessera de confondre le Noir avec ce qui est noir.