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(Par Roger Gbégnonvi)
Lorsque, Bible en main, le lecteur dissipe la nuée dans laquelle l’Histoire Sainte a enveloppé Moïse, il découvre un homme révolté, un homme qui, un jour, comme d’autres, refusa de supporter plus longtemps l’humiliation imposée á lui et aux siens. Sur le limon de sa révolte, il cultiva les trois qualités essentielles qui font le leader, dit parfois charismatique.
Moïse, révolté contre l’injustice, se sent investi pour libérer le peuple de l’oppression et de l’oppresseur. ‘‘Je me sens investi’’ : cette auto-élection ou auto-onction est la qualité fondatrice du leader, et qui l’amène à tuer, en vrai ou symboliquement, le père oppresseur. La carrière du leader Moïse commence par le meurtre, en vrai, d’un représentant du père oppresseur. Dans leur volonté de proposer aux Sénégalais et aux Burkinabés un air de plus de liberté, Macky Sall et Rock Christian Kaboré ont tué symboliquement le père oppresseur.
Mais ce n’est pas une promenade de santé que de libérer le peuple. Cette décision fera passer le leader par monts et par vaux, par incompréhensions et trahisons. Incompris des siens, Moïse s’enfuit puis revient, plus décidé que jamais à vaincre l’oppresseur. La trahison vient souvent de quelque proche compagnon, comme Sankara (Jésus aussi) en fit l’expérience mortelle. Dans le désert à traverser vers la terre de liberté, le peuple se révolte contre Moïse : ‘‘On n’était pas libres, mais on mangeait de la viande. Ramène-nous au pays d’où tu nous as sortis.’’ Moïse va chercher sur la montagne solitude et inspiration. A son retour, stupéfaction : le peuple, sous la conduite d’un de ses proches compagnons, est en pleine apostasie, en pleine adoration d’un dieu qui n’est pas le sien, le vrai. A chaque fois, il a fallu à Moïse du cran. L’auteur de la ‘‘Lettre aux Hébreux’’, citant en exemple son leadership, dit et redit : ‘‘Moïse tint ferme, comme s’il voyait l’invisible.’’ La fermeté à toute épreuve est la deuxième qualité du leader. Une fermeté sur fond de grande patience. Sinon, tout en prêchant la liberté, le leader remet le peuple dans les chaînes de l’oppression, en devenant lui-même oppresseur. L’autocrate Kwame Nkrumah frôla ce travers, le dictateur Sékou Touré y tomba corps et âme. La fermeté de ces deux leaders ne fut pas bornée par la patience.
La troisième qualité du leader est l’abnégation sur fond de profonde humilité. Qualité qui cerne les deux autres et protège le leader contre lui-même. Il doit savoir, dès le départ, qu’une vie d’homme – et donc la sienne – ne suffit pas pour libérer un peuple. Moïse n’a pas foulé la terre de liberté, et ne sait pas si le peuple, qu’il conduisait de l’esclavage à la liberté, a jamais été libre. Mais il aura accompli le devoir qu’il s’était imposé de dire au peuple que la liberté est possible, que la terre de liberté est la terre promise maintenant et toujours.
Et c’est la simple expression de ‘‘la vérité, l’âpre vérité’’, savoir que le leader n’est jamais le libérateur, mais l’homme dont la vocation est de ‘‘surgir, agir, partir’’. Parce que le peuple libéré, c’est le peuple ‘’jamais libre ni conquis’’. Parce que la liberté est toujours à conquérir. Parce qu’il y a toujours place pour la révolte de l’individu et du peuple. Parce que le leader n’est jamais qu’un guide ponctuel sur l’éternel chemin de la liberté. De passage, Moïse, Sankara et Mandela ont dit à leur peuple respectif que la liberté est immortelle, même dans la nuit de l’esclavage, même dans les masures sans fonio du Faso et de Soweto.
Lorsque les Béninois, livre en main, parcourent l’histoire du Bénin à partir de 1894, lorsqu’ils considèrent le Bénin à la lumière des trois qualités qui font le leader, et dont deux se renforcent, l’une de la patience, l’autre de l’humilité, peuvent-ils dire que la terre du Bénin, un jour, a vu passer un leader qui ait dit au peuple l’espérance et la liberté ? Peuvent-ils dire qu’il fut un temps, si court soit-il, où Moïse a été béninois ? Sinon, vivement que vienne à passer le Moïse béninois sur les chemins sans fin de la liberté.