1129 visiteurs en ce moment
(Par Roger Gbégnonvi)
Malheureux Ministère que celui du Cadre de Vie ! Il a tant de mal à se faire entendre, comprendre. Tous lui tombent dessus à bras raccourci. Un seul exemple de cette ratonnade : ‘‘Les petites sources de revenus des pauvres populations sont systématiquement saccagées’’ (Le Matinal, 17 nov. 2016, p. 2). Et il est vrai que, ainsi vu et présenté, il y a de la méchanceté dans l’air, et le gouvernement à la manœuvre n’a pas un brin de cœur. Sauf à considérer que les positions attaquées relèvent depuis toujours du non-droit et que le Ministre n’avait pas d’autre choix que de faire appel au bulldozer. Il y a trop longtemps en effet que l’on triche, d’abord en se cachant, puis en se montrant, torse bombé. Et le non-droit se camouffle sous les attributs du droit et finit par tenir le haut du pavé de la normalité, voire de la légalité.
Et un jour – c’était en 2004-2005 – un opérateur économique étranger, nouvellement arrivé, alla s’ouvrir au Ministre chargé d’étudier son dossier : ‘‘Pendant trois jours, j’ai circulé dans Cotonou. Si la ville reflète l’état du pays, mes affaires ne peuvent pas prospérer ici. Je vais voir du côté du Ghana’’. Et il partit après avoir vu, trois jours durant, le pouvoir aux mains des conducteurs de taxis-motos, les trottoirs transformés en boutiques á ciel ouvert et le soleil rigolant par-dessus, les marchandes, replètes et souriantes, le prendre par la main et roucouler ‘‘Chéri, c’est moi qui te vends aujourd’hui’’, les débits d’alcool au flanc des écoles, les camions écrasés sous la surcharge et se déplaçant comme tortues, sous le regard de policiers rondouillards et corrompus, les voitures roulant sans état d’âme en sens interdit, la ville cisaillée par des crachements haut débit de klaxons stridents, etc. Effaré, l’Européen prit la fuite. Dix ans plus tard, une délégation officielle du Japon, assise depuis une heure autour de la table de négociation, vit arriver un à un, aussi solennels que les sénateurs romains au temps de l’empire, les cadres du Ministère. Quand les pourparlers commencèrent enfin, le chef de la délégation japonaise demanda au Ministre si le retard était inscrit comme droit et devoir dans la constitution du Bénin. On ne sait ce que le Béninois a répondu au Japonais.
Mais l’on peut, ici et maintenant, répondre à l’Européen fuyard et au Japonais ombrageux, que les Béninois débordent de pitié pour les déviants dès qu’un responsable, mal inspiré, lève le bâton pour punir la déviance. Chacun y va de son trémolo compassionnel pour que le bâton soit remisé illico. On l’a vu, il n’y a pas très longtemps, avec nos chers étudiants, scatophiles d’une nuit de démence. Dès que le Gouvernement a voulu les ramener à la raison, ils sont devenus nos enfants adorables. Pour leur défense, des leaders d’opinion, par ailleurs aimables, choisirent de sombrer avec eux dans une saleté terrifiante. A cette allure, qui va nous libérer de nous-mêmes ? Qui va humaniser notre cadre de vie ?
A ces deux questions, une seule réponse : que le Ministère du Cadre de Vie poursuive sans relâche le nettoyage des écuries d’Augias. Car il faut bien qu’une instance, politique ou morale, nous dise que le culte des morts ne nous permet pas d’occuper les voies publiques toutes les semaines, de jeudi à dimanche, qu’aucun culte, ni des morts, ni de Dieu, ne nous permet d’organiser le tintamarre jour et nuit, nonobstant le Décret N° 2001-294 du 8 août 2001, que rien ne nous permet de pisser partout, à ciel ouvert, dans ‘‘l’animalité subitement grave d’une paysanne, urinant debout, les jambes écartées, roides’’ (Aimé Césaire).
Il faut qu’une instance, politique ou morale, nous apprenne que ‘‘les petites sources de revenus des pauvres populations’’ ne sont pas l’idéal du bien-être. Non à la culture du crétinisme et de la misère sur les bouts de trottoir. Nous ne sommes véritablement hommes qu’en nous élevant ‘‘plus haut, toujours plus haut’’. Voilà pourquoi il faut laisser travailler le Ministère du Cadre de vie. Il y va du progrès de l’homme et de son honneur au Bénin.