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Promulguée par le président Patrice Talon depuis 7 mois, la loi N° 2022-04 du 16 Février 2022 portant hygiène publique au Bénin vise à contribuer à l’amélioration de la santé des populations et de la qualité du cadre de vie dans la vision de l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030. Mais sur le terrain, les choses semblent ne pas bouger. Les populations notamment les personnes en situation de handicap n’ont toujours pas accès à une toilette adéquate et sécuritaire dans les bâtiments et lieux publics. Pour cause, l’absence de textes réglementaires d’application pouvant faciliter et accélérer la mise en œuvre effective de la loi.
« Au ministère de la santé, l’envie d’uriner ou de se mettre à l’aise est une véritable source de stress pour nous les usagers. Dans cet endroit, il est très pénible de trouver une toilette pour faire ses besoins. Construites à l’intérieur des bureaux, les toilettes sont fermées et les clés empochées jalousement par les agents et cadres du ministère. Il faut donc être chanceuse ou chanceux pour y avoir accès. Du coup, chaque fois que je mets pieds dans le ministère, je suis obligée de me retenir ou de faire mes besoins, ailleurs en plein air, polluant ainsi l’atmosphère, lorsque c’est pressant », raconte Dame Nadia M. la quarantaine au cours d’une séance de sensibilisation sur l’importance de la promotion de l’hygiène et de l’assainissement dans l’amélioration de la qualité du cadre de vie.
Ce triste constat est fait dans presque tous les ministères, administrations et espaces publics au Bénin. S’il est impossible de trouver une toilette publique au ministère de la santé, les usagers du marché Dantokpa n’en manquent pas, mais se gardent d’en faire usage. « Ici, au marché Dantokpa, les toilettes sont très loin de ma boutique. Mais ce qui me désole et me repousse, c’est l’état insalubre qui les caractérise. J’évite d’y aller pour ne pas contracter des infections car ça pue sauvagement. Il n’y a pas d’eau. Il faut y aller avec des sachets d’eau conditionnée, et parfois certains font leurs besoins sans y verser de l’eau. Entre aller là-bas et tomber malade, j’ai choisi, tout comme bon nombre d’usagers du marché, d’uriner dans un bocal chaque fois que j’en ai envie, quitte à le vider le soir dans le marché avant de rentrer », confie Dame Alabi, la cinquantaine, vendeuse de tissus Wax dans ce haut lieu d’échange commercial. « Ce n’est pas agréable de le faire mais je n’ai pas le choix », poursuit-elle d’un ton résignant.
Pourtant, uriner ou déféquer ne devrait pas être un souci mais plutôt un plaisir. La loi N° 2022-04 du 16 Février 2022 portant hygiène publique au Bénin en vigueur depuis février dernier dispose en son article 40 « Chaque bâtiment public dispose d’une source d’approvisionnement en eau potable et d’installations sanitaires qui garantissent I’accès et la facilité d’usage pour toute personne en tenant compte du sexe et des situations de handicap ».
Mieux, depuis 2010, l’Organisation des Nations Unies (ONU) considère l’accès à l’eau et à un réseau d’assainissement adéquat comme un droit humain fondamental. Dès lors, « l’accès aux toilettes sanitaires adéquates ne doit plus être considéré comme un luxe mais plutôt un droit de l’Homme qu’il faut rendre effectif pour tous non seulement dans les lieux publics mais également dans les ménages, si nous voulons vraiment être au rendez-vous des Objectifs de développement durable (ODD) d’ici à 2030 », a appelé l’économiste Dr Jean-Baptiste Oga du Lareg.
Le mauvais assainissement tue des milliers de Béninois chaque année
Les résultats de l’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (Ehcvm 2019) estiment l’accès des populations aux infrastructures sanitaires de base à 21.5%. Ce qui voudrait dire que 8 ménages sur 10 ne disposent pas de toilettes sanitaires au Bénin. C’est pour corriger ce tableau sombre et restaurer la dignité humaine que l’Etat a renforcé son arsenal juridique en promulguant la nouvelle loi portant hygiène publique au Bénin. Ainsi, cette loi qui vient suppléer le Code de l’hygiène publique dont plusieurs dispositions sont devenues caduques, entend impliquer les collectivités locales dans la promotion de l’hygiène publique dont l’hygiène des bâtiments publics, des établissements préscolaires, scolaires et universitaires, l’hygiène des centres de détention mais également fusionner la police environnementale avec la police sanitaire.
Mais depuis 7 mois après sa promulgation, les lignes n’ont toujours pas bougé pour une quelconque amélioration. L’absence de textes règlementaires pouvant favoriser la promotion de l’hygiène et de l’assainissement justifie ce statu quo. D’après les économistes, l’eau et l’assainissement sont incontournables dans la réduction de la pauvreté.
Spécialisé en épidémiologie et en santé publique, Dr Pierre M’Pelé abonde dans le même sens et martèle, lors d’une séance de sensibilisation sur les stratégies de lutte contre les maladies infectieuses, que « le non accès des populations aux services d’hygiène et d’assainissement pose un grand risque de santé publique et est à l’origine des épidémies telles que les cas de choléra, de typhoïde, de diarrhée, de dysenterie... ».
Il est donc important que l’Etat et les Organisations de la société civile agissent pour faire du droit d’accès de tous à une toilette sanitaire et sécuritaire dans les lieux publics une réalité au Bénin.
Le leadership du chef de l’Etat attendu
Pour relever le défi de l’accès des citoyens béninois à des toilettes sanitaires et adéquates, il est urgent que le Président Patrice Talon s’investisse personnellement dans le combat pour l’amélioration des indicateurs du sous-secteur de l’Hygiène et de l’Assainissement de Base (HAB) et à l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD) notamment l’ODD6.2 relative à l’accès aux services d’assainissement et d’hygiène en prenant des décrets d’application de la loi pour situer les rôles et responsabilités de chaque structure désignée ou non pour faire appliquer la loi sur le terrain.
L’engagement du Chef de l’Etat pourra insuffler une dynamique nouvelle pour une meilleure efficacité des stratégies de promotion de l’hygiène et de l’assainissement et va permettre à tous les fils et filles du Bénin de jouir pleinement de leur droit d’accès aux services d’approvisionnement en eau et d’installations sanitaires.
Le ministère de la santé à travers l’Agence nationale pour les soins de santé primaires (Anssp) pour sa part, devra prendre le relai en collaboration avec les Organisations de la société civile notamment le Canea et les professionnels des médias, pour attirer l’attention des décideurs et pouvoirs publics sur l’importance de doter chaque bâtiment public d’une source d ’approvisionnement en eau potable et d’installations sanitaires qui garantissent I’accès et la facilité d’usage pour toute personne en tenant compte du sexe et des situations de handicap.
Ces actions auront pour effet, de susciter chez les populations, l’abandon des mauvaises pratiques d’hygiène. Les acteurs publics, à divers niveaux notamment les élus locaux doivent également prévoir, dans leurs budgets la construction de toilettes salubres et des points d’approvisionnement en eau dans les espaces publics et s’assurer de leur entretien pour garantir leur fréquentation.
Juliette MITONHOUN