Les sages de la Cour constitutionnelle du Bénin ont encore fait sensation à travers l’une de leurs dernières décisions : un contrôle de constitutionnalité sur une lettre ouverte. Le seul mérite de ce document est d’avoir été publié dans certains journaux (les sages eux-mêmes en ont dénombré deux organes à savoir Le Matinal et La Presse du Jour). L’essentiel ici n’est pas d’arpenter les mécanismes de publication de ces articles dans des journaux qui ne sont pas réputés être très tendres avec Yayi mais qui pourtant n’ont pas hésité à publier une invite l’incitant à un troisième mandat. Lettre d’un illustre inconnu (voire anonyme) sensée avoir déclenché l’intérêt des sages que l’on croyait pourtant très occupés à réguler une vie institutionnelle béninoise déjà très fournie ces derniers temps. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, la Cour constitutionnelle béninoise s’est déclarée compétente à vérifier la constitutionnalité de cette lettre anonyme puis à la déclarer inconstitutionnelle.
On peut admettre que les propos du chef de l’Etat sur des chaînes de télévision ou celles de Fatouma Amadou Djibril sur la télévision Canal 3 puissent déclencher l’ire de la constitutionnalité d’autant plus qu’il s’agit de personnalités assumant des fonctions constitutionnelles. Ce qui se comprend moins, par contre, c’est la soumission d’une lettre quasi anonyme à cet exercice hautement solennel et grave. La porte ouverte à une inquisition constitutionnelle totalement débridée. Le juge constitutionnel pourrait donc être sollicité pour se prononcer au sujet d’une chanson, d’un prêche, d’une altercation voire d’une causerie du dimanche au motif que des expressions auraient violé la loi fondamentale. J’espère ne pas voir un de mes chroniques déferrer un jour devant ses prestigieux sages pour anti-constitutionnalité. De la régulation institutionnelle à la régulation populaire il n’y a qu’un pas que mon jeune frère fraîchement nanti d’un doctorat en droit ne comprend toujours pas.
Revenons au volet strictement juridique, à propos de ce que certains célèbrent déjà comme une victoire contre les partisans du 3ème mandat. Il paraît que, même en cas de révision, Yayi ne pourrait se présenter aux élections de 2016 ayant déjà fait deux mandats consécutifs. Comme si quelqu’un avait dit qu’une révision constitutionnelle ferait automatiquement sauter le verrou de la limitation du nombre de mandat. En réalité, la dernière décision de la cour n’a pas fait évoluer le débat d’un seul iota. Tant qu’on reste dans le cadre d’une simple révision, pas question d’un 3ème mandant pour Yayi. Mais en cas de changement de constitution, oui. C’est vrai qu’à ce sujet la Cour a excipé comme joker la notion de constituant originel qui serait la conférence nationale. Ainsi, pour aller à la nouvelle République il faudrait passer d’abord par une conférence nationale. Sauf qu’aucun texte du droit positif béninois n’a donné une définition juridique d’une conférence nationale.
S’il fallait rester dans la logique de 1989, la conférence nationale a été convoquée par le chef de l’Etat d’alors. Un comité d’organisation a eu la latitude de convoquer les délégués de son choix. Rien n’empêche un président de la République de convoquer un machin à baptiser "conférence nationale" en prélude à une nouvelle constitution. Il lui suffit d’avoir ensuite la majorité qualifiée à l’assemblée et au sein de la classe politique et le tour est joué. En réalité le seul obstacle supplémentaire mis sur la route d’un troisième mandat c’est la convocation d’une conférence nationale par le chef de l’Etat. Des assises dont il n’existe aucun format légalement institué. Et c’est cette trouvaille ubuesque que l’on veut faire passer pour une révolution anti-révisionniste imparable. Tout ceci à partir d’une lettre "anonyme".
La régulation constitutionnelle en mode refondation ne s’arrête plus...
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26 novembre 2014 par Judicaël ZOHOUN