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(Par Roger Gbégnonvi)
Le retraité, qui se raconte au cours d’un déjeuner à trois, a 66 ans. ‘‘Bonnes études au collège des bons pères’’ (sic). Puis des études supérieures pour devenir officier des douanes. A son premier poste-frontière rapportant environ 30 millions f CFA quotidiens au trésor public, il pratique avec scrupule l’éthique du catéchisme et du scoutisme. Mais un jour, un officier supérieur de l’armée nationale, haut placé dans le Gouvernement de la République, lui téléphone et demande 40 millions ‘‘à remettre au sergent, mon envoyé’’. Avec respect, il informe des conditions d’une telle opération, et s’entend hurler à l’oreille : ‘‘Quels papiers ? Les contrôleurs, c’est nous ! Tu la fermes, et tu décaisses !’’ Exécution. Le lendemain, un autre grand patron de l’armée vient en personne le voir : ‘‘Vous avez pas mal de pognon ici. Sortez-moi 10 briques !’’ Notre homme veut… ‘‘Eh, ouste ! Donnez !’’ Exécution. Sans papiers justificatifs. ‘‘Et c’est ce jour-là que je me suis dit que si c’est ça, ce serait trop c… de ne pas se servir soi-même.’’ Et il n’arrêta plus de se servir jusqu’à sa retraite.
Aujourd’hui, il a tellement de biens meubles et immeubles et de comptes dans les paradis fiscaux, ‘‘qu’il m’arrive de nager dans le fatras. Et c’est du bonheur’’. Les histoires de chômage des jeunes, de création d’emplois, de réduction de la pauvreté, et patati et patata, tout ça ne lui dit rien qui vaille. Il est un homme heureux. Les femmes de toutes sortes aiment à le conquérir. Le stupre à gogo dans un luxe, à vrai dire, rococo. Mais l’essentiel pour lui réside depuis longtemps dans la quantité des choses et des femmes possédées. Il est un homme heureux. Même si une aventure, tellement sordide qu’elle en est inénarrable, l’a conduit quelque temps dans le divan d’un psychiatre. Il est un homme heureux.
A-t-il remisé pour autant les leçons du catéchisme et du scoutisme ? Pas tout à fait. Certes, il ne croit plus qu’à l’argent et à tout l’avoir qu’il procure et qu’il faut amasser sans sourciller ‘‘car, je vous le dis, il n’y a pas de vie autre que celle-ci’’. Ayant éructé la formule comme un dogme, il avoue quand même un petit souci des fins dernières. Si l’âme existait par hasard et que Dieu, existant lui aussi, fût sensible à ceci ou à cela chez les hommes et les femmes, il vaudrait mieux ne pas l’énerver. En conséquence de quoi notre homme finance toutes les croyances à sa portée. S’il faut habiller les nouveaux revenants de sa collectivité tentaculaire, s’il faut doter un diacre de l’Eglise catholique à la veille de la prêtrise, s’il faut restaurer chapelle ou mosquée délabrées, il est là avec de l’argent, des tôles, du mobilier, voire une moto ou une 4X4 flambant neuve pour le serviteur de Dieu. Et le shaman, le curé, l’imam, lui font des sourires aussi roses que ceux des femmes amoureuses de son argent. Les religieux de tout bord l’aiment pour ses largesses à l’endroit des ancêtres et du bon Dieu.
Cette saga, recueillie le 15 octobre en l’an de grâce 2016, révèle, dans le cas du héros concerné, que la corruption, partie du corps militaro-politique, a imprégné la société et n’a pas épargné les temples. Celui qui s’agenouille dans l’un ou l’autre pour prier son Dieu le fait peut-être sous un toit restauré par l’argent de la corruption. Et c’est pourquoi beaucoup de croyants espèrent que ‘‘Dieu reconnaîtra les siens’’. Notre homme n’est pas le seul mécène de son genre au Bénin, et chacun voit bien que, d’une générosité corrompue à l’autre, c’est tout le Bénin qui est enveloppé dans la corruption. Or corruption veut dire pourriture, et chacun voit bien qu’il est urgent de faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard. Mais quand sera-t-il trop tard ? Faire quelque chose, mais quoi ? Et s’il s’avérait que, emballés par l’idée généreuse de ne pas énerver Dieu, cet homme et ses semblables financent également, tant soit peu, les organisations de lutte contre la corruption afin de booster la justice, alors c’est Dieu lui-même qui devra apparaître pour extraire le Bénin de l’infernal enveloppement.