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(Par Roger Gbégnonvi)
‘‘Musique et danse en Afrique : un style de vie’’. Manifestation pour une durée de 24h pendant la dernière semaine de novembre 2014 dans une ville d’Europe de l’ouest. C’est, du reste, ce qu’on fait de mieux en Afrique, si l’on en croit Senghor, dogmatique : ‘‘Car nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur’’. Si l’on en croit aussi Césaire, ironique et agacé, lui dont les ancêtres ont été vendus par des Africains chantant et dansant : ‘‘Quelque part dans la nuit, mon peuple danse… Et c’est toujours comme ça’’. Tout de sympathique en tout cas du côté de la manifestation annoncée. L’Afrique des ‘‘rires banania’’, les Africains, que l’on dits ‘‘bon-enfant’’, apporteront à la cité un peu de joie et de chaleur en cette fin d’automne/début d’hiver.
Mais voilà ! De nombreuses affiches ont subi l’infamie de graffitis obligeant le passant à lire, au choix, ‘‘Ebola et sida’’, ‘‘Famine et djihadistes’’, avec toujours pour dénominateur ‘‘en Afrique : un style de vie’’. Ignoble. Sans doute l’œuvre d’un petit groupe d’individus frustrés qui se défoulent à identifier l’Afrique à ce qu’on doit craindre le plus en ce moment. Mais vous vous ravisez : ces individus ont agi au vu et au su de nombreux passants. Aucune protestation pourtant. Alors surgit en vous la question : le rejet systématique de l’Afrique serait-il la chose la mieux partagée dans cette bonne ville ? Question et amers souvenirs.
En 1916, Teilhard de Chardin, dont les vues sont pleines d’élévation et de noblesse, croise pour la première fois des Africains en pleine guerre des tranchées et parle, à leur sujet, du ‘‘village meusien qui abrite tant de sauvages’’. Des sauvages, ceux que l’on a contraints à venir l’aider à débarrasser son pays de l’envahisseur qu’il appelle ‘‘le Boche’’ ? Et le grand jésuite poursuit : ‘‘Avec certains Africains, sans doute, la soudure est désagréable’’. Il oppose aux Africains ‘‘les Russes, Australiens, etc…’’avec qui ‘‘la fusion aura de précieuses conséquences’’. Pie XII mena croisade contre le racisme subi par les Noirs. Cela ne l’empêcha pas de les traiter en parias en janvier 1944 : ‘‘Le pape espère qu’il n’y aura pas de soldats de couleur au sein des troupes alliées qui seront déployées à Rome après la libération’’. Peur que Rome libérée soit déshonorée par la présence de soldats non blancs, notamment noirs ? Justement, le 26 août 1944, à la célébration de Paris libérée, de Gaulle mit son point d’honneur à ce qu’il n’y ait pas trace de tirailleurs au sein des troupes françaises qui descendirent triomphalement les Champs-Elysées. Et pourtant la libération de la France, y compris Paris, ne put advenir sans le sacrifice suprême de milliers de tirailleurs dits sénégalais, contraints par la France de se faire tuer à la guerre. L’entreprise de mépris et de rejet de l’Africain reçut un renfort à Dakar, le 26 juillet 2007, quand le Chef d’Etat français déclara, en regardant les Africains droit dans les yeux : ‘‘Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire’’. Entendre, évidemment, qu’il n’y est pas entré du tout, puisqu’on l’en rejette constamment par une diabolisation permanente.
Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain a été, sans procès, méprisé et rejeté de l’histoire par Voltaire, Kant, Hegel, etc., tous grands esprits, dont les textes présentent le Noir comme chose bonne pour l’esclavage, paillasson que l’on piétine et que l’on jette ensuite dans un coin d’immondices. Quant à Karl Marx, admirable héraut des exploités de tous les pays, son évangile coécrit avec Engels ignore simplement la contribution des Noirs, esclaves et colonisés, au développement de l’Europe et des Etats-Unis. L’ignominie de novembre 2014 s’inscrit donc dans une longue tradition occidentale de rejet de l’Africain de l’histoire. Il importe de le savoir pour entreprendre l’une des révolutions à faire afin que le monde cesse de tourniquer pour commencer enfin à avancer.