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(Par Roger Gbégnonvi)
Assis dans le salon de son employé béninois, qui l’a invité à une cérémonie familiale, l’Européen se prend à méditer à haute voix en présence de son épouse, européenne comme lui. A l’en croire, l’Europe, c’est fini, et plus rien n’empêchera son déclin. Les technocrates, gestionnaires, ont remplacé les hommes d’Etat, visionnaires. Dans leurs laboratoires, les scientifiques, pour ne pas périr d’ennui, inventent des choses bizarres, nuisibles à la vie à force d’être encombrantes. ‘‘L’avenir, c’est l’Afrique, mais il faut vous développer à votre rythme’’. Sa femme et lui comptent s’acheter un lopin de terre, loin de Cotonou et de sa clameur. Ils y construiront une demeure et passeront le reste de leur vie ‘‘dans cette ville mystique’’. Les deux enfants, 14 et 12 ans, feront ce qu’ils veulent quand ils seront grands.
Le couple tourne autour de la quarantaine. Le reste de leur vie vous paraît donc un bon reste, et il faut que les deux n’aient vraiment plus aucun désir d’Europe pour vouloir la troquer contre l’Afrique, un choix dont la pertinence ne vous saute pas aux yeux. Car, Africain et Béninois aguerri aux ‘‘choses qui nous rencontrent et nous coupent’’, vous n’entendez pas grand-chose à ‘‘l’avenir, c’est l’Afrique’’, et très peu de chose à ‘‘vous développer à votre rythme’’. Avenir et développement, vus de la Centrafrique et du Mali, ce sont des pays portés à bout de bras par la France, pour éviter que leur effondrement n’entraîne celui de l’ensemble de l’Afrique, ce qui entraînerait l’invasion de l’Europe par des hordes faméliques. Avenir et développement vus du Bénin, c’est le blé inconnu dont le pain se retrouve pourtant partout dans les villes, petites et grandes, c’est le carburant de contrebande volé au Nigeria et devenu l’un des fondamentaux de l’économie, ce sont des millions de jeunes gens et jeunes filles sans emploi, qui se tuent lentement á boire tous les breuvages excitants, à vendre de l’essence de contrebande au bord des grandes artères, à s’improviser conducteurs de taxis-motos sur des voies improbables, à multiplier les amants pour gagner sûrement de quoi s’acheter chaque jour un bout de pain de blé ; ce sont aussi des politiciens du hasard, pratiquant une politique dictée par l’Occident et, le plus souvent, une politique de rapine. Avenir et développement vus sur l’ensemble de l’Afrique, c’est la stagnation, la régression et, de temps en temps, le basculement dans la guerre civile, en Côte d’Ivoire, au Liberia, en Sierra Leone, etc., comme si l’on tenait à compenser l’absence d’ouragans qui, de temps en temps, ravagent tout sur leur passage dans les Amériques.
Si le paysage ci-dessus, plutôt réaliste que pessimiste, reflète quelque peu le quotidien de l’Afrique, on se demande où le couple fuyant l’Europe a pu y voir, le 2 octobre 2016, avenir et développement, quel qu’en soit le rythme. Mais la sincérité des deux était si émouvante. Sans le savoir, ils auront répété François Mitterrand disant que, sans l’Afrique, l’Europe n’a pas d’avenir. Et il est vrai que ‘‘l’enfer, c’est les autres’’ (Sartre), parce qu’ils peuvent s’offrir, à côté de l’enfer, un petit coin de paradis d’où ils observent monter les flammes ravageuses, qu’ils attisent sournoisement pour garantir et faire durer la beauté du spectacle, un peu comme Néron, ravi de contempler Rome en feu, Néron qui ne devait pas être si fou. En tout cas, de très raisonnables migrants européens ont ravagé les aborigènes indiens pour faire place nette à un trop-plein d’Europe et assurer l’avenir de l’Europe dans les Amériques. Voilà pourquoi et comment, grêlée de part en part, murmurant de colère rentrée, perlée de Mosquées et d’Eglises hurlant vers le ciel pour sa consolation, l’Afrique d’aujourd’hui, désespérante pour ses fils et filles, représente un havre de paix, de développement et d’avenir…pour l’Europe. Pascal a dit, en substance, que l’homme qui meurt est tout de même grand parce qu’il sait ce qui le tue. Âpre vérité…pour l’Afrique.