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(Par Roger Gbégnonvi)
Un mal fatal, c’est celui qui n’est pas soigné parce que ses symptômes n’ont pas été perçus à temps. Quand il devient évident, il est trop tard, et le patient, qui ignorait son mal, est emporté. ‘‘En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari…’’ (Mat., 24/38). Le mal qui pourrait, non pas emporter le Bénin, mais en faire un entrepôt de ‘‘morts encore un peu vivants’’, c’est la médiocrité que les Béninois cultivent assidument, dans une atmosphère bon enfant, comme mode de vie accepté.
Le mal de la médiocrité béninoise remonte au temps colonial. La fameuse formule du très respecté Mounier, ‘‘Le Dahomey est le quartier latin de l’Afrique…’’, renvoyait à un vivier de petits fonctionnaires dont se servait la France pour l’extension rapide de ‘’l’œuvre civilisatrice’’. Arrachés à leurs villages et à leurs champs, parfois tirailleurs rescapés d’Indochine ou d’Algérie, ils étaient formés à la va-vite pour la cause. Ils n’étaient pas performants mais obéissants. Ils s’activaient pour avoir les faveurs du maître. Ils faisaient le minimum, étalé sur un temps très long, car ces ‘‘wi missié’’, à la vue du miracle de la paye mensuelle automatique, disaient entre eux qu’il était ‘‘inutile de transpirer à travailler pour le Blanc’’ puisqu’il suffisait de faire semblant pendant trente jours. Cette déontologie de la médiocrité a formaté le fonctionnaire béninois, paresseux, absentéiste, et qui devient noir de rage quand on lui parle d’avancement au mérite. Pour lui, seul un fou peut remettre en cause l’automatisme de l’avancement tous les deux ans. Cette déontologie de la médiocrité a généré le ‘‘désert de compétences’’, qui renvoie à la quasi stérilité de la mer morte.
Cette mer morte, où le Bénin barbote et végète, se reflète aujourd’hui dans trois miroirs brisés, dont la brisure a cessé de faire problème pour être intégrée à la vie comme solution pérenne. Ainsi des établissements secondaires publics. Les ‘‘classes volantes’’ y sont devenues la règle, pour une raison plutôt acceptée de tous : les moyens de l’Etat sont en deçà du nombre de classes à construire et du nombre d’enseignants à recruter et former. En conséquence de quoi les élèves ont cours quand et où c’est possible, et les quotas horaires des matières au programme ont été amincis pour réduire les élèves à l’aune des brisures. Déontologie de la médiocrité, et en avant la musique ! Ainsi encore de l’hôpital de référence en face du rutilant Palais de la Présidence. Il affiche une belle réputation de mouroir. Pour ne pas y mourir, les grands malades, riches par eux-mêmes ou portés par l’Etat, se font évacuer à grands frais en Afrique du Sud où de simples médecins les sauvent à grands frais dans des hôpitaux modernes. L’Etat béninois ne se fera donc pas du mouron pour les mouroirs du Bénin, car le pays de Mandela est à portée d’avion et de main. Vous avez dit déontologie de la médiocrité ? N’importe quoi ! Envoyez la musique ! Ainsi enfin de l’énergie électrique. Naguère, quand elle filait à l’anglaise et abandonnait son monde sur le carreau, c’étaient des cris de colère, et l’on envoyait ‘‘tous ces incompétents’’ brûler en enfer. Aujourd’hui : ‘‘Tiens, ils ont encore coupé ! Bof, ils finiront bien par le rétablir.’’ Et l’on attend qu’ils finissent bien par le rétablir. Et au lieu de vilipender la déontologie de la médiocrité, il vaut mieux s’aviser que, chez les Béninois, ‘‘les pires conditions sont excellentes’’, comme dit André Breton.
Point n’est besoin de boire toute la mer morte pour savoir qu’elle a goût de sinistre stagnation et de stérilité, et qu’elle pourrait peut-être finir par s’assécher. Mais ‘‘c’est le Bénin qui est comme ça, on n’y peut rien !’’ Car les Béninois ont le culot d’appeler fatalité la culture et le culte de la médiocrité. Le parti de la rupture a-t-il conscience du travail de dessouchage ? Aimé Césaire dit que ‘‘le matériau humain lui-même est à refondre’’. Il eût pu ajouter, à l’intention des Béninois, que tout nouveau départ demande courage et audace.